Introduction

La lombalgie est une douleur ou gêne fonctionnelle située entre la douzième côte et le pli fessier, associée ou non à des irradiations dans les membres inférieurs. La lombalgie est typiquement classifiée selon sa durée. Les six premières semaines correspondent à la période de lombalgie aiguë. Entre six et douze semaines, la lombalgie est dite subaiguë. Au-delà de douze semaines la lombalgie est chronique.1 On différencie les lombalgies spécifiques ou non spécifiques. Les lombalgies spécifiques (ou symptomatiques) présentent des symptômes clairement identifiés (infection, tumeur, fracture, etc.). Il est essentiel de rechercher les signes d’alerte d’une éventuelle cause symptomatique. Le traitement de cette cause suffit généralement à guérir le mal de dos. A l’inverse, les lombalgies non spécifiques (ou communes) n’ont pas de cause identifiable et représentent 85 à 90% des cas.2 C’est pour ce type de lombalgie que l’exercice et les activités sportives présentent le plus d’intérêt et ont par conséquent été le plus étudiés. Cet article a pour but de clarifier l’état des connaissances sur l’efficacité, les mécanismes et les recommandations en matière d’exercice et d’activités sportives dans la lombalgie non spécifique.

Rappel épidémiologique

Il est généralement admis que 70 à 85% des adultes souffrent au moins une fois au cours de leur vie d’un épisode de lombalgie.3 La prévalence annuelle dans les pays occidentaux se situe autour de 30% et la prévalence ponctuelle autour de 20%.4 Cette différence reflète probablement la nature instable et épisodique de la lombalgie. Par ailleurs, la prévalence est variable en fonction de l’âge avec un maximum entre 40 et 60 ans.4 En Suisse, la lombalgie est le problème de santé le plus répandu. L’Enquête suisse sur la santé 20075 a révélé que 47% des femmes et 39% des hommes avaient souffert de divers problèmes de dos dans les quatre semaines précédant l’interrogation.
La littérature sur la progression à long terme a souvent décrit le pronostic de la lombalgie comme favorable. Soixante à 70% des patients guérissent sans perte fonctionnelle résiduelle en six semaines, et 80 à 90% en douze semaines (figure 1). Au-delà, la récupération est lente et incertaine. Moins de la moitié des personnes invalides depuis plus de six mois retournent au travail et, après deux ans d’arrêt de travail, le taux de retour au travail est proche de zéro.3 Les patients qui deviennent invalides de manière temporelle ou permanente ne représentent que 10% des cas, mais engendrent 85% des coûts totaux.6 En 2005 en Suisse, les coûts directs ont été mesurés à € 2,6 milliards et les coûts indirects entre € 2,2 et € 4,1 milliards, soit un total représentant 1,6 à 2,3% du produit intérieur brut.7
Figure 1

Evolution naturelle de la lombalgie

(Adaptée de réf.3 )

Chronicisation de la lombalgie

Un regard sur le processus de chronicisation de la lombalgie permet de comprendre à quels niveaux l’exercice peut être bénéfique aux patients lombalgiques. Les mécanismes sous-jacents à la transition de la lombalgie aiguë à chronique ne sont pas totalement élucidés. Toutefois, il est généralement admis que des facteurs cognitifs et comportementaux sont le plus souvent en cause. Le modèle de la peur liée à la douleur8 illustre bien comment un épisode douloureux initial peut conduire à une cascade de conséquences, parmi lesquelles le déconditionnement global de l’individu contribue à perpétuer le cercle vicieux caractéristique de la lombalgie chronique (figure 2). Ce modèle oppose deux réponses comportementales face à la douleur : la confrontation et l’évitement. Le catastrophisme se réfère au processus au cours duquel la douleur est interprétée comme extrêmement menaçante. Dans ce processus interviennent plusieurs facteurs parmi lesquels l’information délivrée par le médecin et l’entourage du patient, ainsi que les expériences douloureuses antérieures du patient qui jouent un rôle important. Le catastrophisme génère très logiquement une peur liée à la douleur. La prochaine étape dans le cercle vicieux est l’évitement et l’hypervigilance envers les activités supposées augmenter la douleur, en particulier l’activité physique. Le dernier élément de la spirale englobe le déconditionnement, la dépression et l’incapacité. Le déconditionnement se fait ressentir sur les plans physiques, psychologiques et sociaux.9 L’ampleur est renforcée par les relations causales qui existent entre ces trois types de changements (figure 2).
Figure 2

Chronicisation de la lombalgie illustrée par le modèle de la peur liée à la douleur

(Adaptée de réf.7-9 ).

Efficacité de l’exercice

De nombreux travaux ont eu pour objectif de démontrer l’efficacité de l’exercice dans la prévention et le traitement de la lombalgie. Une récente revue générale de la littérature sur le sujet a identifié vingt revues systématiques publiées en dix ans (1997-2007).10 Dans la prévention de la lombalgie, il existe un niveau de preuve élevé que l’exercice est un moyen efficace de préventions primaire (prévention des nouveaux cas) et secondaire (diminution de la prévalence et prévention de la chronicité) des lombalgies. L’exercice est même souvent identifié comme la seule modalité préventive dont l’efficacité a pu être démontrée.11-13 Le sport comme facteur de risque de la lombalgie a récemment fait l’objet d’une revue de la littérature.14 Le principal facteur de risque identifié était la pratique intensive d’un seul sport et particulièrement chez un sujet jeune. Les sports incriminés étaient la gymnastique, l’haltérophilie, le football, la lutte et certaines disciplines de l’athlétisme.
Comme modalité de traitement, l’exercice diminue l’incapacité et la douleur et améliore la condition physique et le statut professionnel des patients lombalgiques subaigus, récurrents ou chroniques.10 L’exercice est jugé plus efficace qu’un traitement placebo ou aucun traitement (niveau de preuve modéré) et que le traitement habituel par un médecin généraliste (niveau de preuve élevé). L’exercice n’est cependant pas plus efficace que la physiothérapie (niveau de preuve élevé), et moins efficace qu’un traitement multidisciplinaire (niveau de preuve contradictoire). Dans la prise en charge de la lombalgie aiguë, l’inefficacité (mais pas la nocivité) de l’exercice a pu être démontrée (niveau de preuve élevé). Il est conseillé aux patients de poursuivre autant que possible les activités quotidiennes plutôt que d’effectuer un programme d’exercice.10

Mécanismes d’action de l’exercice

Bien qu’il apparaisse maintenant évident que l’exercice a des vertus dans la prise en charge de la lombalgie chronique, les mécanismes d’action sont encore mal connus. Les effets d’une pratique régulière d’exercice dans la population saine sont nombreux et relativement bien détaillés.15 Nul doute que ces bienfaits expliquent, au moins en partie, les résultats positifs rapportés à la suite de programmes d’exercice adaptés aux patients lombalgiques chroniques. Certaines adaptations spécifiques à la lombalgie chronique ont cependant été émises (tableau 1).
Tableau 1
Mécanismes d’action de l’exercice dans la lombalgie chronique
↘ Atrophie des fibres musculaires de type II16 ↗ Diffusion des éléments nutritifs dans les disques intervertébraux17 ↗ Guérison des structures du dos18 ↗ Seuil de perception de la douleur19 ↘ Kinésiophobie, comportement d’évitement20 Bêta-endorphine plasmatique au repos 21 ↗ Sérotonine plasmatique postexercice 22 ↗ Concentration plasmatique de citokines à effet anti-inflammatoire 23 ↘ Protéine C-réactive 24
Des biopsies de la musculature spinale ont pu mettre en évidence une atrophie sélective des fibres musculaires de type II (fibres rapides), ainsi qu’une atténuation de cette atrophie à la suite d’un programme d’exercice, en particulier chez les hommes.16 Il a été suggéré que l’exercice affecte l’architecture du lit capillaire à l’interface disque-os avec un effet bénéfique sur la diffusion des éléments nutritifs dans le disque.17 Certaines études ont démontré que le mouvement améliore la guérison de l’ensemble des structures qui constituent le dos (muscles, ligaments, tendons, cartilages, disques).18 Il faut cependant préciser que la lombalgie chronique a de nombreux facteurs de risque psychosocial et ne se limite pas aux lésions structurelles. Dans ce contexte, l’exercice engendre une augmentation du seuil de perception de la douleur19 ainsi qu’une diminution de la peur du mouvement (kinésiophobie),20 en particulier s’il est une composante d’un programme multidisciplinaire. Une diminution des symptômes dépressifs et anxieux ainsi qu’une amélioration de l’humeur pourraient s’expliquer par la diminution de la concentration plasmatique au repos de bêta-endorphine21 et l’augmentation de la concentration plasmatique de sérotonine mesurée immédiatement après une séance d’exercice.22 Enfin, l’exercice a un effet anti-inflammatoire démontré par l’augmentation de la concentration plasmatique de citokines à effet anti-inflammatoire23 et la diminution de la protéine C-réactive.24

Quel est le programme d’exercice le plus adapté ?

Dans le but de définir le type d’exercice optimal, la méthode scientifique la plus rigoureuse semble de comparer différentes caractéristiques de l’exercice. C’est la démarche adoptée récemment dans une revue de littérature.10

Général versus spécifique

Les exercices de renforcement de la musculature du tronc activent l’ensemble des muscles fléchisseurs et extenseurs du tronc et à une intensité relativement élevée. Cependant, des exercices plus spécifiques et plus légers ont été développés, activant préférentiellement les muscles stabilisateurs locaux du rachis. Les études ayant comparé ces deux types d’exercices de renforcement sont contradictoires. La spécificité de l’exercice a été différemment évaluée dans une étude longitudinale observationnelle.25 La quantité d’activités physiques de loisir pratiquée avait un effet protecteur en termes de douleur et d’incapacité alors que la quantité d’exercices de renforcement musculaire du tronc pratiquée avait l’effet inverse. Les auteurs reconnaissaient cependant des limites liées au design de l’étude.

Individuel versus en groupe

Le volume et l’intensité d’entraînement doivent être individualisés aux capacités individuelles du patient qui peuvent être établies au moyen d’une évaluation initiale. Lorsque l’exercice est réalisé en groupe, il est plus difficile d’individualiser les paramètres du programme. En revanche, Il est possible que la dynamique de groupe implique une solidarité et une motivation supplémentaires. Les études comparatives n’ont pas trouvé de différence significative en termes de diminution de la douleur. Par contre, l’exercice en groupe semble améliorer davantage l’incapacité pour certains patients.

Supervisé versus à domicile

La plupart des études ayant évalué un programme d’exercice chez des patients lombalgiques a été effectuée dans le cadre d’une supervision par du personnel compétent. Certaines investigations se sont néanmoins penchées sur l’efficacité des programmes d’exercice effectués à domicile, moins onéreux. Il existe un niveau de preuve élevé qu’un programme d’exercice supervisé ou partiellement supervisé est plus efficace qu’un programme d’exercice à domicile. La supervision améliore l’adhésion des patients et accroît la diminution de la douleur et de l’incapacité.

Motivation et préférences du patient

La motivation a fait l’objet d’un seul essai contrôlé randomisé, qui montrait qu’un programme d’exercice était significativement plus efficace pour diminuer la douleur et l’incapacité à un et cinq ans de suivi s’il était combiné avec des interventions visant à renforcer la motivation des patients.26 Les préférences du patient pour le traitement ont également été très peu investiguées mais semblent également mériter une considération lors de la mise en œuvre d’un programme d’exercice.

Recommandations de l’American college of sports medicine

L’American college of sports medicine (ACSM) recommande pour les patients lombalgiques une prescription de l’exercice similaire à la population générale,27 avec une réduction de l’exercice en phase aiguë et quelques ajustements appropriés.28

Renforcement musculaire

Le renforcement de la musculature abdominale et lombaire doit se faire au minimum deux fois par semaine, à raison d’une série de huit à douze répétitions maximales (âge < 50 ans) ou de dix à quinze répétitions maximales (âge > 50 ans). L’accent est mis sur l’endurance musculaire plutôt que la force maximale pour les sujets plus âgés. Cette recommandation est également préconisée par McGill mais sans distinction d’âge.29

Endurance cardiovasculaire

Les ajustements préconisés par l’ACSM dans l’entraînement de l’endurance cardiovasculaire visent à augmenter ou maintenir les activités de la vie quotidienne, à travers des tâches fonctionnelles comme une marche rapide durant cinq minutes, trois à cinq fois par semaine et assis-debout devant une chaise durant une minute, deux à trois fois par semaine, sans spécification plus précise quant à l’intensité. Par ailleurs, l’ACSM recommande d’éviter les activités incluant des impacts importants comme la course à pied.

Mobilité

L’ACSM recommande tous les exercices de mobilité qui n’augmentent pas la douleur, et particulièrement ceux qui concernent les muscles fléchisseurs et extenseurs du tronc et des hanches. La mobilité doit être entraînée deux à trois fois par semaine, à raison de trois répétitions par groupe musculaire à chaque session. La technique statique est recommandée, avec une durée d’étirement de dix secondes.

Activités sportives

Les activités sportives ont cet avantage sur les programmes d’exercice qu’elles sont généralement plus motivantes et favorisent l’adhésion à long terme. Bon nombre de patients s’interrogent à juste titre sur d’éventuelles activités à privilégier ou à déconseiller. La littérature scientifique à ce sujet est encore peu éclairante. Il faut insister sur le fait que toute activité physique pratiquée à dose modérée n’augmente pas le risque d’aggravation ou de récidive de la lombalgie.30 Il semble raisonnable de déconseiller les sports impliquant des charges excessives à soulever, comme l’haltérophilie, le judo ou la musculation lourde. Les blocages brusques en rotation du tronc entraînent des forces de cisaillement sur le disque intervertébral potentiellement nocives. A ce titre, on déconseillera le squash ou le tennis, bien que la terre battue semble plus favorable que les surfaces dures grâce à la possibilité de glisser lors des changements de direction.
Il est très répandu de conseiller aux patients lombalgiques le vélo ou la natation. Ces activités sont sans doute bénéfiques aux patients, notamment parce qu’elles occasionnent une participation conséquente du système cardiorespiratoire, mais présentent le désavantage de peu solliciter la musculature stabilisatrice du rachis en position debout. Une autre recommandation très fréquente est de déconseiller les sports asymétriques comme le golf. Il n’a cependant jamais été prouvé que ce type d’activités pouvait engendrer des déséquilibres musculaires à l’origine de maux de dos. Il semble tout de même plus approprié de recommander des activités telles que la marche, le Nordic walking ou encore les parcours VITA en été, et à la saison froide, la randonnée à skis ou en raquettes et le ski de fond.

Conclusion

L’exercice permet de prévenir l’incidence et la récurrence de la lombalgie. Les programmes d’exercice sont recommandés en cas de lombalgie subaiguë et chronique mais pas aiguë. Dans tous les cas, il faut insister sur l’importance de maintenir un quotidien aussi actif que possible. Les activités sportives à privilégier sont celles qui favorisent l’adhé­sion à long terme en procurant du plaisir. Les sports jugés dangereux doivent être déconseillés avec la plus grande prudence car bien souvent les effets bénéfiques l’emportent sur une éventuelle répercussion nocive.

Implications pratiques

> L’exercice doit tenir une place importante dans la prévention et la prise en charge de la lombalgie chronique
> La recommandation d’une activité sportive à un patient doit tenir compte en premier lieu de ses préférences
> Les sports impliquant des charges importantes à soulever ou des changements de direction brusques ne doivent pas être encouragés
> La recherche devrait davantage se pencher sur la pratique des activités sportives