Cet article présente l'évolution d'un programme de rééducation en groupe. Les résultats inattendus du premier groupe nous ont amenés à modifier notre concept et à développer une nouvelle approche. Bien que la tendance émanant des cinq sessions réalisées depuis le début soit positive, nous ne sommes pas encore en mesure de produire des résultats quantifiés sur l'efficacité de ce programme. Il paraît cependant intéressant de décrire le glissement de notre groupe de la pluridisciplinarité (plusieurs professionnels interviennent, chacun dans sa spécialité, au profit d'un patient) vers l'interdisciplinarité (ces professionnels mettent leurs compétences en commun vers un but commun).1Nous présenterons donc l'adaptation de notre action en fonction du feedback des patients. Nous proposerons également un changement d'attitude de la part des soignants ­ nécessaire selon nous ­ face aux patients parkinsoniens et plus généralement dans la gestion de la maladie chronique. 


Programme initial

Dès le départ, nous convenions que des activités en groupe menées conjointement par des ergothérapeutes et des physiothérapeutes seraient susceptibles d'apporter les meilleurs résultats. Ce type de prise en charge avait déjà montré des résultats probants.2
Les objectifs étaient d'améliorer ou de maintenir les capacités fonctionnelles des participants en les motivant à bouger quotidiennement et de les aider à mieux gérer leur maladie par une meilleure connaissance de celle-ci.
Chaque groupe professionnel a proposé ses possibilités d'intervention et ses bilans propres en fonction des différentes caractéristiques de la maladie. Il en est issu un programme composé de séances à thèmes, basées sur les difficultés rencontrées quotidiennement par les patients parkinsoniens.
Face à la diversité du handicap selon le stade de la maladie, et pour garantir un travail efficace, nous avons cherché à établir des groupes relativement homogènes en choisissant les critères d'inclusion suivants :
motivation personnelle ;
pouvoir marcher seul et sans moyen auxiliaire sur 100 mètres ;
pouvoir comprendre et exécuter une consigne simple ;
pouvoir se déshabiller et s'habiller seul.
Chaque professionnel évaluait pour lui-même les patients selon ses critères et méthodes. La décision d'inclure un candidat au groupe était prise en commun par l'équipe en fonction des résultats des différentes évaluations.
Chaque groupe comptait six à huit patients. Les séances, hebdomadaires, duraient une heure ; elles étaient animées conjointement par un ergothérapeute et un physiothérapeute qui intervenaient successivement.a Chaque professionnel apportait sa spécificité : une partie «physiothérapie» constituée d'activités physiques, puis une partie «ergothérapie» qui proposait des mises en situation et présentait des moyens auxiliaires et les aménagements possibles à domicile.
En fin de séance, les thérapeutes présentaient et enseignaient un exercice à refaire quotidiennement à domicile. Chaque patient recevait une description de cet exercice accompagnée d'un schéma. Nous précisions que les éventuelles difficultés rencontrées en cours de semaine pouvaient être discutées lors de la séance suivante. 


Problèmes rencontrés

Nous souhaitions intervenir sur deux des trois signes cardinaux de la maladie de Parkinson, rigidité et akinésie. Mais, rapidement, d'autres caractéristiques liées à la pathologie, la lenteur, le manque d'initiation et de motivation se sont avérées presque plus handicapantes. Autre surprise, la mise en évidence de l'immense solitude de ces personnes, à l'exemple de Mme C. qui disait qu'elle avait le sentiment de perdre contact avec la société et qu'elle appréciait ces séances car elles constituaient sa seule sortie hebdomadaire !
L'étude des résultats nous a confrontés à un constat décevant : l'analyse des bilans (UPDRS,peg-board,c amplitudes articulaires, vitesse de marche) indiquait des variations non significatives et même une tendance régressive pour l'UPDRS. Mais, paradoxalement, les participants et leur entourage se sentaient mieux ! Ils disaient avoir retrouvé la satisfaction d'agir, l'envie de sortir de chez eux et le plaisir de se retrouver en groupe...
Ces résultats nous ont conduits à une profonde remise en question. L'interprétation des bilans a donné lieu à des avis partagés ; une partie de l'équipe médicale a estimé que la péjoration n'était que l'évolution normale de la maladie ; cette absence de progrès mesurables les a amenés à se désengager du projet. A l'opposé, un spécialiste des maladies chroniques nous a encouragés à poursuivre nos efforts en orientant notre attention sur l'amélioration apportée à la qualité de vie des patients. 


Nouvelle orientation

La qualité de vie des patients est alors passée au premier plan et nous a permis de redéfinir notre projet avec un regard nouveau. Notre façon de travailler a évolué de la pluri- vers l'interdisciplinarité. Nous avons réorganisé les séances sans nous soucier des spécificités professionnelles mais avec un but commun : motiver et dynamiser les participants au travers d'activités distrayantes et ludiques telles que basket-ball, tennis de table, parcours d'obstacles ou danse, sans perdre de vue cependant les objectifs fonctionnels. De thérapeutes conventionnels, nous sommes devenus co-animateurs thérapeutiques. Les exercices ont été modifiés pour être plus proches des activités de la vie quotidienne et répondre aux problèmes rencontrés par les patients.
Une table ronde animée par un psychologue permet aux participants et à leurs proches de parler avec les thérapeutes et les médecins de la manière dont ils vivent leur maladie. Dans ce moment d'écoute, chacun apprend de l'autre ; l'interactivité prend là tout son sens. Il nous paraît important d'écouter et d'intégrer l'entourage à notre programme pour que les changements soient plus facilement transférés dans la vie quotidienne.
En plus de l'UPDRS, nous avons élaboré un bilan commun sous forme d'un parcours représentatif des difficultés quotidiennes du patient parkinsonien.d Ce parcours est filmé et analysé selon des critères standardisés. Nous utilisons également un marqueur reconnu de la qualité de vie, le PDQ-39,e échelle développée spécifiquement pour les patients parkinsoniens par l'OMS.
Au-delà d'un simple entraînement physique, nous agissons sur le vécu de ces personnes et leur qualité de vie en général : l'amélioration psychique se répercute sur leurs capacités fonctionnelles. La dynamique de groupe permet à chacun de partager son expérience, apporte une motivation supplémentaire et renforce la confiance en soi. De nombreux témoignages recueillis vont dans ce sens. Ces résultats nous autorisent à postuler que les personnes ayant fait l'expérience positive d'une fonction retrouvée («mémoire positive») ont la possibilité de la garder en elles puis de la reproduire dans d'autres circonstances grâce à la confiance gagnée. 


Modifier l'attitude des soignants

Si aujourd'hui nous sommes satisfaits de la collaboration entre physiothérapeutes et ergothérapeutes, cela n'est apparu qu'au terme d'un long parcours de frustrations, de découvertes, de déceptions et de satisfactions. En milieu hospitalier, les professionnels de santé travaillent côte à côte, dans le strict respect des frontières tacites où les compétences se rejoignent. Longtemps, «on a eu peur les uns des autres». Ce projet a été l'occasion d'un glissement progressif d'une approche pluridisciplinaire vers une approche interdisciplinaire telle que décrite plus haut. Au début, chaque thérapeute se faisait une image du patient à partir d'un œil expert et spécifique à sa profession. En élaborant son propre bilan, chacun voulait évaluer son efficacité propre. Il en résultait une évaluation contraignante pour les participants et des séances pendant lesquelles l'individualisme de chacun, thérapeutes et participants, primait sur la dynamique de groupe. Par la suite, physiothérapeutes et ergothérapeutes ont regardé les participants ensemble, et ce double regard a donné une image en relief, beaucoup plus proche de la réalité vécue par ceux-ci.
Aujourd'hui, notre programme s'ouvre à d'autres collègues : depuis 1999, une logopédiste participe à l'animation d'une séance. Nous souhaitons poursuivre dans cette voie, notamment en renforçant le lien avec le corps médical et en ouvrant la porte à d'autres disciplines... pourquoi pas un professeur de danse ? Cette liberté d'évolution et de changement découverte au long de ce parcours nous a permis de vivre l'affirmation de Jean Cardinet :3«Individus et groupes ne peuvent évoluer que s'ils sont mis dans une situation où ils n'ont plus à se défendre d'être ce qu'ils sont». 


L'écoute des patients change les thérapeutes

L'interdisciplinarité a permis à notre œil de thérapeute de s'intéresser au patient qui souffre, avec ses problèmes et leurs répercussions sur son entourage, au-delà des symptômes physiopathologiques, tremblements, rigidité ou akinésie. Nous avons écouté ces personnes et leur avons permis de s'exprimer. Nous nous sommes intéressés à leur nouvelle manière de vivre, imposée par la maladie de Parkinson : ils ne sortent plus, ne reçoivent plus, etc.
Dès que le thérapeute change son regard sur le patient, les rapports s'intensifient, les patients et leurs familles se confient, collaborent et suggèrent. Régulièrement, l'un ou l'autre des patients apporte la confirmation que nous faisons bonne route : «ici, vous nous comprenez». Et, bien sûr, cela modifie notre manière de travailler, d'ajuster et d'affiner le contenu de nos séances, non plus élaborées seulement sur les indications de la littérature professionnelle, mais ciblées sur les problèmes rencontrés par les patients dans leur vie quotidienne.
Le changement de regard des thérapeutes sur les patients les amène à changer leur rapport à ces derniers. Les patients modifient eux aussi le regard qu'ils jettent sur nous et font ainsi évoluer notre rôle et notre position. Nous sortons de l'image de l'enseignant, pour accéder au rôle de conseiller thérapeutique, de guide dans leur parcours de santé. Nous instaurons un véritable partenariat thérapeute-patient. Les patients n'ont pas directement conscience de l'aide qu'ils apportent aux thérapeutes. Pour nous, cependant, la prise en compte de leur satisfaction a sans doute été l'élément capital parmi ceux qui nous ont obligés à réfléchir à notre travail et à nos moyens d'action.
Nous sommes ainsi passés d'une causalité linéaire simple ­ le thérapeute «sait» et agit avec sa connaissance sur le patient ­ à une situation de coévolution où patient et thérapeute s'influencent mutuellement, où des effets non prévus peuvent apparaître. Nous ne sommes plus les seuls «responsables» du traitement, mais devenons «coauteurs» d'une évolution mutuelle. Ce qui implique de nous laisser guider par les indications des patients pour l'élaboration de notre programme, de les écouter au lieu de les «éduquer», de les accompagner au lieu de les «traiter». Cette ouverture est capitale au regard de l'attitude habituelle où «on a beau savoir que tout ce qui s'est passé d'important dans notre vie était totalement inattendu, on continue à agir comme si rien d'inattendu ne devrait désormais arriver».


Remise en question de notre identité professionnelle

Cette modification d'attitude thérapeutique, de rôle et de type de collaboration interdisciplinaire a provoqué un questionnement au sujet de notre identité professionnelle : suis-je ergothérapeute, physiothérapeute, psychologue ? Danser avec un patient, est-ce bien sérieux ? Ce questionnement est nécessaire pour travailler en groupe interdisciplinaire. Cette compétence n'est cependant guère promue par la formation professionnelle : «nous ne sommes pas des animateurs, mais des pros» déclaraient souvent les thérapeutes au début. Plusieurs facteurs ont permis aux rôles d'évoluer :
les thérapeutes, à titre individuel comme en groupe, ont fait preuve de souplesse et de la nécessaire capacité de se remettre en cause ;
l'institution nous a fourni les moyens matériels (temps, lieu) et humains (possibilité pour plusieurs thérapeutes de travailler ensemble à ce projet ; diverses professions réunies) qui ont permis une réflexion en groupe et un processus de maturation au fil des groupes et du temps ;
les activités ludiques ainsi que le travail centré sur les intérêts des patients s'avèrent d'une efficacité thérapeutique supérieure aux approches traditionnelles ;
les patients eux-mêmes nous font évoluer séance après séance. 


Conclusion

La maladie de Parkinson peut certainement servir de modèle d'abord de la maladie chronique, comme indicateur des ajustements nécessaires dans l'institution hospitalière. Tout autant que la formation des soignants celle-ci reste encore attachée à la philosophie du siècle des lumières, axée sur des modèles de causalité linéaire, visant surtout la pathologie, le déficit et le dysfonctionnement, au lieu de regarder et promouvoir les potentiels, les compétences et les motivations.
Dans le modèle bio-médical, la personne est définie par sa maladie, ou par le diagnostic. Au point que le diagnostic peut remplacer l'être humain qui souffre. Le progrès médico-technique prolonge l'espérance de vie des malades atteints d'une affection chronique évolutive comme les parkinsoniens. La médecine va ainsi de plus en plus devenir une médecine de gestion de la chronicité.5 L'accompagnement du patient et l'aide à l'utilisation optimale de ses potentiels restants seront donc son mandat principal.6
Si le système de santé doit s'adapter aux nouvelles données, il en va de même pour les professionnels de la santé. Les soignants du futur devront inévitablement être différents de ceux qui sont issus du modèle bio-médical. Leurs compétences, leurs attitudes, leurs objectifs devront pouvoir répondre aux attentes des patients chroniques. La formation de base et la formation continue doivent tenir compte de ces nouvelles exigences.
Au fil de trois ans de travail en commun, nous avons vu que, malgré les difficultés que tout changement implique, l'évolution est possible et même nécessaire pour faire face aux nouvelles demandes. Les patients en bénéficient, mais les thérapeutes aussi.
Dans l'avenir, nous espérons que cette démarche interdisciplinaire pourra se développer car nous pensons que cette expérience peut être élargie à la prise en charge d'autres maladies chroniques. L'Ecole du dos7 et la rééducation des patients coronariens8 ont fait leurs preuves. Les conclusions d'études en cours au sein des Hôpitaux universitaires genevois montreront très bientôt si cette approche vaut également pour les patients diabétiques et les fibromyalgiques. L'enthousiasme manifesté par les participants est de bonne augure...