Introduction

Il existe de nombreuses étiologies de coxarthrose.1 La théorie statique de formation de l'arthrose par surcharge axiale du cartilage, comme elle est acceptée pour les cas de dysplasie de hanche, n'est pas suffisante pour expliquer le développement d'une coxarthrose dans un groupe de jeunes patients ayant apparemment un squelette de morphologie normale.
Sur la base d'observations cliniques, le concept d'impingement ou conflit fémoro-acétabulaire (FAI) a été développé comme cause dynamique de formation d'une coxarthrose.2,3 Cette théorie implique des variations subtiles de la morphologie osseuse du cotyle ou du fémur proximal, entraînant un contact aberrant entre ces deux structures lors de certains mouvements et provoquant ainsi des lésions du labrum ou du cartilage articulaire. Ces lésions progressent et résultent en une arthrose avérée si la cause sous-jacente du conflit n'est pas traitée précocement.4 Ce phénomène est plus fréquent chez de jeunes patients physiquement actifs.
Au vu des conséquences du conflit fémoro-acétabulaire chez des patients jeunes, il nous paraît important que cette pathologie et son traitement soient connus afin de pouvoir instaurer un traitement adéquat avant l'apparition de dégâts articulaires irréversibles.


Aspects cliniques

Anamnestiquement, les patients remarquent des douleurs inguinales progressives souvent associées à un traumatisme mineur. Les douleurs sont initialement intermittentes et exacerbées par des activités physiques prolongées, par exemple sportives, mais aussi suite à une position assise prolongée dans le cas d'un conflit antérieur. Certains patients décrivent une augmentation des douleurs lors de mouvements de flexion, par exemple la montée d'escaliers. Lors d'un conflit postéro-inférieur, les patients décrivent une diminution de la longueur du pas ou des douleurs nocturnes.
Le diagnostic différentiel des douleurs inguinales est très vaste (tableau 1) et il n'est pas rare que ces patients, au vu de radiographies de hanche «normales», aient subi de nombreux examens, voire même des interventions chirurgicales avant d'évoquer une problématique de hanche.5
L'examen clinique révèle une limitation de la mobilité articulaire, principalement en rotation interne. Le test de conflit (impingement test) est pratiquement toujours positif et évocateur d'une telle pathologie ou d'une lésion du labrum.6,7 Il s'agit d'un test dynamique réalisé chez un patient relaxé en décubitus dorsal en fléchissant progressivement la hanche avec une adduction-rotation interne (figure 1a). Ce mouvement permet de reproduire le conflit entre le col fémoral et le bord antérieur du cotyle et de mettre le labrum en compression. Les douleurs, souvent très vives, sont localisées dans le pli inguinal antérieur, occasionnellement au niveau du grand trochanter.
Le conflit postéro-inférieur, typique d'une coxa profunda, est testé par l'apprehension test.6 Le patient est couché au bord de la table d'examen en fléchissant la hanche controlatérale au maximum, ce qui entraîne une hyperextension de la hanche examinée. Un mouvement de rotation externe et une légère abduction combinée reproduisent le conflit postéro-inférieur douloureux au niveau de la fesse (figure 1b). En cas de douleur antérieure, la subluxation antérieure de la tête fémorale induite par ce mouvement exerce un stress sur le labrum antéro-supérieur déchiré et est alors évocatrice de cette lésion.

Examens radioligiques

Le bilan radiologique standard comporte une radiographie du bassin de face strictement orthograde ainsi qu'un cliché de profil, tels que précédemment décrits.8 La qualité de réalisation de ces images est primordiale afin de pouvoir évaluer précisément les altérations morphologiques subtiles du cotyle et du fémur proximal.9
L'arthro-IRM est l'examen le plus fiable pour évaluer les lésions cartilagineuses ou du labrum et permet également d'évaluer plus précisément la morphologie articulaire.8,10-12


Mécanisme et type de conflit

Le conflit fémoro-acétabulaire est un contact anormal entre le bord du cotyle et le fémur proximal lié à des altérations morphologiques de ces structures entraînant une limitation de mobilité articulaire ou à une mobilité articulaire excessive avec une morphologie normale. Contrairement à une prothèse de hanche qui luxe lors d'un conflit, la hanche native est beaucoup plus contrainte et ne peut échapper aux effets néfastes du contact ou des forces de cisaillement, provoquant des lésions du cartilage et/ou du labrum.
Il existe deux types de conflit : le pincer lié à une pathologie acétabulaire et le cam lié à une pathologie fémorale.2
Le conflit de type pincer, dans lequel le bord du cotyle agit telle une pince entourant le col fémoral, résulte d'un contact entre le bord proéminent du cotyle et le col fémoral normal (figure 2). Le bord du cotyle peut être globalement (coxa profunda) ou localement proéminent dans sa partie antérieure (rétroversion acétabulaire).13 Ceci entraîne un écrasement du labrum, qui dégénère progressivement avec formation de kystes intralabraux ou d'une ossification du labrum augmentant encore la surcouverture acétabulaire. Les lésions cartilagineuses habituelles du pincer sont plutôt limitées à une bande étroite au niveau du bord acétabulaire et sont donc moins conséquentes que les lésions liées à un conflit de type cam.
La flexion forcée de la hanche provoque une subluxation postérieure de la tête fémorale avec des forces de cisaillement lésant le cartilage acétabulaire postéro-inférieur ou apical de la tête fémorale : c'est la lésion de «contre-coup» qui est souvent tardive dans le processus physiopathologique.
Le conflit de type cam, lié par analogie de forme à une came de moteur, résulte de l'impaction en force de la partie asphérique de la tête fémorale ou bump dans la partie antéro-supérieure du cotyle (figure 3). Les forces de cisaillement provoquent une abrasion ou un décollement du cartilage de la jonction avec le labrum et de l'os sous-chondral de l'extérieur vers l'intérieur. Les lésions du labrum sont limitées à sa surface articulaire alors que les lésions cartilagineuses sont souvent étendues et profondes.
Le conflit de type pincer touche plus souvent des femmes entre 30 et 40 ans alors que le type cam touche plus souvent des hommes entre 20 et 30 ans.
Les formes pures de conflit sont moins fréquentes que les formes mixtes, associant une composante acétabulaire à une composante fémorale et représentant 72% des cas.4


Traitement du conflit fémoro-acétabulaire

Un traitement conservateur initial peut être tenté chez les patients souffrant d'un conflit fémoro-acétabulaire. Il consiste en une modification des activités, notamment sportives, ainsi qu'une limitation de la mobilisation de la hanche. L'utilisation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens permet de diminuer les douleurs aiguës, mais risque également de cacher les symptômes d'un processus dégénératif sous-jacent.
La physiothérapie de mobilisation ou d'étirement est plutôt contre-productive étant donné qu'elle exacerbe le conflit. Par contre, chez les patients ayant une mobilité supra-physiologique de la hanche, des exercices de recentrage et de tonification (type Sohier) permettent d'améliorer la symptomatologie.14
Si ces mesures conservatrices permettent parfois d'améliorer les symptômes, le jeune âge des patients et une demande fonctionnelle accrue limitent souvent la compliance et donc le succès d'un tel traitement.
Le traitement causal du conflit fémoro-acétabulaire est chirurgical dans le but de corriger les altérations morphologiques qui en sont à l'origine.
La connaissance précise de l'anatomie de la hanche, notamment vasculaire,15 a permis de développer un abord chirurgical permettant de luxer la hanche et donc d'obtenir une vision parfaite des lésions non seulement para- mais aussi intra-articulaires sans risque de nécrose aseptique de la tête fémorale.16 Il est dès lors possible de traiter les lésions du cartilage acétabulaire par débridement et microfracture afin de stimuler la formation d'un fibrocartilage cicatriciel, de débrider le labrum dont la majeure partie doit toutefois être conservée,17 de corriger la surcouverture acétabulaire en réséquant l'excédent osseux ou de corriger l'offset cervico-céphalique du fémur (figure 4).18 Les résultats publiés dans la littérature ne sont que sur de petites séries et à court ou moyen terme, mais de nombreux groupes utilisent actuellement cette technique avec des résultats cliniques satisfaisants.19-21 Dans certains cas de rétroversion acétabulaire vraie, le traitement adéquat consiste en une ostéotomie de réorientation périacétabulaire.22
Au vu du caractère parfois jugé invasif de la luxation chirurgicale de hanche et de la durée de rééducation, de nombreux auteurs travaillent à des techniques arthroscopiques.23-27
La première partie de l'arthroscopie, sous distraction de la hanche, permet de traiter les lésions du cartilage acétabulaire et du labrum de façon analogue à la technique ouverte (figure 5). La deuxième partie, sans traction, permet d'aborder le col fémoral et de corriger le déficit d'offset.
Ce traitement, bien qu'élégant, est techniquement très difficile et encore en cours de développement. Au vu de la nécessité de conserver le labrum dans la mesure du possible,17 la possibilité technique de désinsérer puis réinsérer le labrum afin de corriger la surcouverture acétabulaire antérieure est notamment un facteur limitant. Certains chirurgiens sont actuellement capables d'effectuer ce type de corrections, mais ces techniques ne sont pas encore courantes.24,26,28 De même, l'accessibilité latérale du col fémoral sous arthroscopie est souvent limitée et la correction d'un défaut d'offset, à ce niveau est donc difficile, voire dangereuse en raison de la proximité des branches terminales de l'artère circonflexe médiale vascularisant la tête fémorale.15
Le traitement arthroscopique du conflit fémoro-acétabulaire est donc actuellement surtout favorisé chez des patients ne présentant pas de composante de type pincer prédominante ou étendue ainsi qu'un déficit d'offset essentiellement localisé dans la partie antérieure du col fémoral.
Comme pour la luxation chirurgicale, les séries publiées ne comportent que peu de patients et un recul de courte durée.23-27
Afin de contourner certaines de ces difficultés techniques, de rares auteurs associent une procédure arthroscopique pour le compartiment articulaire à une procédure ouverte par une voie d'abord antérieure pour accéder au col fémoral.29Ce type d'approche combine toutefois les inconvénients des deux techniques sans apporter plus d'avantages.
Il est également possible d'effectuer une voie d'abord antérieure pure permettant d'aborder le bord acétabulaire, le labrum et le col fémoral antérieur, mais cette approche ne donne accès ni à la cavité acétabulaire, ni à la partie postérieure du cotyle. Dans certains cas, il est donc possible de traiter la cause du conflit, mais pas les conséquences intra-articulaires. De plus, aucune série n'a été publiée pour ce type de voie d'abord.


Conclusion

Le conflit fémoro-acétabulaire est une étiologie peu connue de coxarthrose précoce chez les jeunes patients.2 La méconnaissance des signes cliniques et radiologiques, souvent subtils, induit le praticien en erreur et mène à un traitement inadéquat ne permettant pas de soulager le patient ou qui aggrave même les symptômes.
L'anamnèse de douleurs inguinales exacerbées en flexion de hanche associée à un impingement test positif doivent faire évoquer le diagnostic de conflit fémoro-acétabulaire. Toutefois, comme mentionné plus haut (tableau 1), le diagnostic différentiel est très vaste. Il est, dès lors, essentiel de rechercher tous les signes cliniques menant finalement à un diagnostic précis sans se focaliser d'emblée sur une seule pathologie. Les examens radiologiques standards ainsi qu'une arthro-IRM de bonne qualité permettent d'établir la présence d'altérations morphologiques du cotyle ou du fémur proximal et de chercher d'éventuelles lésions articulaires qui sont la conséquence du conflit.8
Le traitement dépend de la symptomatologie ainsi que de l'état articulaire de la hanche. Une phase initiale de traitement conservateur peut être tentée, surtout chez des patients présentant une hypermobilité de la hanche avec une anatomie normale. Chez les patients présentant des altérations morphologiques de la hanche, un tel traitement n'est toutefois pas causal et n'apporte souvent qu'une amélioration temporaire des symptômes. Un traitement conservateur prolongé sans succès nous paraît dès lors contre-indiqué au vu des risques accrus de dégénérescence articulaire avec le temps. Par contre, un traitement prophylactique de lésions morphologiques sans répercussion clinique ne nous paraît pas opportun.
Le traitement causal du conflit fémoro-acétabulaire est chirurgical. Le type de traitement s'oriente en fonction du type de conflit (cam ou pincer) ainsi que de l'étendue des lésions.
Le traitement chirurgical ouvert par luxation chirurgicale de la hanche est le traitement standard. Il permet d'améliorer significativement les symptômes si les lésions cartilagineuses sont peu étendues au moment de l'intervention.19 Cela signifie que plus l'intervention est précoce, plus les chances de normaliser l'articulation et de repousser l'évolution d'une arthrose terminale sont importantes.
Le traitement arthroscopique est difficile et actuellement encore en cours de développement. Les avancées techniques permettent toutefois d'élargir progressivement les indications de cette méthode, bien qu'elle n'ait pas encore remplacé la technique ouverte.26,27,30