Introduction

Les troubles musculosquelettiques (TMS) connaissent une croissance exponentielle et constituent une préoccupation socio-économique dans les pays industrialisés du fait de leurs conséquences individuelles, en termes de souffrance, de réduction d’aptitude au travail et de risque d’une rupture de contrat.1 En Suisse, les demandes de prestations induites par des TMS reculent depuis 1995 car il est rare qu’ils soient reconnus comme maladie professionnelle, mais ont été remplacées par la progression des troubles mentaux.2 Les TMS ne remplissent pas les critères établis par la loi.3 Ils ne sont pas répertoriés dans les dispositions légales émises par le Conseil fédéral.4
Les TMS impliquent des maladies en lien avec une activité professionnelle, et sont donc déclenchés ou aggravés par le travail. Il y a une extension possible lors des activités sportives. Leur répartition topographique intéresse les membres supérieurs, moins fréquemment les membres inférieurs, et plus rarement le tronc.
Les TMS regroupent les pathologies des muscles, tendons, ligaments, articulations et les nerfs de voisinage, structures comprenant racines et troncs nerveux.
L’objet de cet article est de discuter des manifestations neurologiques dans les TMS, essentiellement en lien avec le nerf périphérique, et d’aborder brièvement leurs conséquences psychotraumatiques.1 ,5

Les troubles musculosquelettiques sont fréquents

Ils intéressent les maladies professionnelles. Pour certains, il est souligné le déséquilibre entre les contraintes gestuelles et les capacités fonctionnelles, qui sont individuelles, et ce déséquilibre peut s’intégrer dans la métaphore de l’homme machine.6 Pour d’autres, il existe une confrontation plus scientifique, basée sur des chiffres d’ergonomes, de spécialistes du travail et des épidémiologistes.1
Dans les TMS, un lien de causalité est reconnu avec l’activité gestuelle répétitive, mais aussi la position prolongée, surtout si elle est associée avec une contrainte physique, comme un appui d’une extrémité sur une surface solide ou un travail d’hypersollicitation. Les TMS s’inscrivent aussi souvent dans un terrain psychologique fragilisé.3
Leur extension à d’autres activités est admise, comme celles associées au sport (lancers, football, course à pied), et à la conduite automobile.
Le rapport détaillé «choisi du point de vue suisse», issu de la cinquième enquête européenne sur les conditions de travail, prend en compte de nombreux facteurs, professionnels ou extrinsèques, la répétitivité des activités, les positions extrêmes et contraignantes, l’âge, le sexe, l’obésité, le tabagisme, l’émotivité, l’état de santé, la structure des facteurs organisationnels ou psychologiques, la demande cognitive, la pression temporelle, la monotonie, ou le manque d’autonomie.2 Il y est estimé que près de 54,6% des personnes interrogées souffrent de TMS (contre 42,7% en Europe).6 Le champ des compétences requiert donc logiquement la participation variée du médecin traitant, du rééducateur, de l’orthopédiste, du neurologue et de médecins du travail.
Les principaux facteurs responsables des TMS s’articulent entre des activités diverses, activité de force, répétitive, stressante ou traumatisante, associée à une posture et une statique contraignantes, une angulation extrême d’un segment de membre ou encore l’utilisation d’objets vibrants.

Les neuropathies focales dominent les manifestations neurologiques des troubles musculosquelettiques


Vignette

Cette vignette est synthétisée par la figure 1 , qui met en parallèle les arrêts de travail et les déficits de fonction.
Monsieur F. a débuté très jeune son travail manuel pour développer, dès la quarantaine, des complications répétées par hypersollicitations articulaires des poignets et du dos induisant un arrêt de travail définitif. Malgré cet arrêt précoce et l’apparition d’un diabète, il est traité chirurgicalement des genoux et d’une rupture de coiffe. Examiné en neurologie à l’âge de 70 ans, il présente une neuropathie diabétique avec dysautonomie, une raideur douloureuse du tronc, et les signes d’une compression médullaire par un canal cervical étroit avec des troubles urinaires type urge.
Figure 1.
Parallèle entre les arrêts de travail et les déficits de fonction
D : droit ; G : gauche.Selon l’échelle de Rankin (échelle de handicap, 3 correspondant à un handicap modéré, requérant certaines aides, mais patient capable de marcher sans assistance).
Les TMS peuvent révéler une maladie neurologique sous-jacente ou une rare maladie musculaire, et s’associer à une neuropathie focale ou à un canal rachidien étroit, ou à une combinaison des deux, même tardivement comme dans notre vignette. Le plus fréquemment, ils associent une pathologie de surcharge et une prise au piège (entrapment)d’un tronc nerveux ou de racines nerveuses.
Dans les TMS, le tronc nerveux est exposé à des contraintes de nature variée, associant distorsion, étirement et compression du paquet vasculo-nerveux. La neuropathie focale peut être aussi révélatrice d’une neuropathie plus diffuse comme un diabète ou une insuffisance rénale.
L’enclavement du nerf suprascapulaire n’est impliqué, dans les TMS, que chez les sportifs effectuant des lancers, les tennismen en particulier.7 Les points de compression sont au passage de l’échancrure coracoïdienne, ou au défilé spino-glénoïdien, deux passages ostéofibreux. La neuropathie entraîne des scapulalgies postérieures sourdes et un déficit avec amyotrophie des fosses épineuses. L’électroneurographie (ENG) et l’imagerie distinguent cette neuropathie d’une déchirure de la coiffe des rotateurs. Le traitement est conservateur, suivi d’une exploration chirurgicale en fonction de l’évolution du syndrome algo-moteur.
Le syndrome du tunnel carpien est la complication neurologique la plus fréquente des TMS, avec des courbatures manuelles suite à une sollicitation mécanique, une gestuelle maladroite et une sémiologie de paresthésies digitales. Dans les TMS, il n’y a pas de caractéristique remarquable,8 seule l’étiologie diffère, comme démontrée par sa prévention par l’amélioration de l’ergonomie du poste de travail.
Le syndrome du nerf ulnaire est retrouvé chez l’horloger ou le bijoutier où les coudes sont en appui continu sur des accoudoirs avec une surcharge de la ceinture scapulaire.8 Un autre exemple est l’appui prolongé du coude non dominant et non actif lors du travail sur ordinateur. La neuropathie ulnaire est associée à des tendinopathies épicondyliennes et entraîne des douleurs locales, avec une maladresse manuelle. La réorganisation ergonomique de la place de travail par un ergothérapeute et une mise au repos, la nuit, du coude dans une orthèse statique avec une flexion à 30° pendant quatre à six semaines permettent un traitement adéquat. En l’absence d’amélioration, un bilan ENG est indiqué pour évaluer le nerf interosseux postérieur.
Dans les TMS avec épicondylalgies existe la possibilité d’un syndrome du tunnel radial, lié à une activité manuelle répétée avec le poing serré, aggravé par la pro-supination.9 ,10 L’examen clinique est pauvre, mais une douleur à la pression du nerf interosseux postérieur à l’arcade de Frohse peut être retrouvée, à deux travers de doigts distaux de la tête radiale, douleur péjorée par une extension des doigts contre résistance. Le traitement est conservateur, avec réorganisation de l’ergonomie de la place de travail, un traitement physique par stimulation vibratoire transcutanée avec un Vibralgic, éventuellement une infiltration paranerveuse. Le traitement est chirurgical s’il est démontré une dénervation des muscles innervés par le nerf interosseux postérieur.10
Aux membres inférieurs, des TMS sont associés à des neuropathies podales, rarement observées. La compression répétée des terminales antérieures du nerf fibulaire au pied est déclenchée par le port de chaussures professionnelles.11 D’autres neuropathies focales sont rapportées, comme la métarsalgie de Morton, neuropathie plantaire digitale ou le névrome de Joplin, neuropathie du premier nerf digital du gros orteil, ou l’enclavement du nerf plantaire médial, le pied du jogger. Un traitement conservateur, avec correction de l’ergonomie de la chaussure, ou une infiltration paranerveuse, peut être efficace, mais la persistance des manifestations nécessite une étude avec imagerie IRM du pied pour la recherche et l’excision du névrome.

Wiplash injury, faut-il l’intégrer dans les troubles musculosquelettiques ?

Le traumatisme cervical indirect par transfert d’énergie est fréquent lors d’accidents de la voie publique mais aussi chez les chauffeurs professionnels, occasionnant un étirement des structures musculo-ligamentaires sans fracture ni luxation rachidienne ni contusion médullo-radiculaire, ce tableau définissant le wiplash injury.12 A plus de six mois d’évolution avec persistance de douleurs, un syndrome douloureux persistant définit le late wiplash. Il comprend des cervicalgies sur lesquelles se surajoutent céphalées, troubles visuels, vertiges, fatigabilité, trouble de la concentration et labilité émotionnelle, qui peuvent s’intégrer dans un TMS.13 L’étiologie et la physiopathologie de ces troubles sont discutées en l’absence d’évidence de lésions structurelles, bien que certains attribuent ces syndromes à une dénervation articulaire. La prise en charge est biopsychosociale avec prescriptions d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.14

Intolérance musculaire d’effort

Localisée dans le syndrome de la loge antéro-externe de la jambe, associant vasculopathie et neuropathie, l’intolérance musculaire d’effort est le reflet de lésions répétées des masses musculaires chez le footballeur ou le coureur de fond. Le diagnostic demande une imagerie musculaire. Le traitement peut être chirurgical ou par des injections de toxine botulique. Généralisée, une maladie musculaire génétiquement déterminée (glycogénolyse, cytopathie mitochondriale, dystrophie musculaire) peut rarement se révéler par l’activité professionnelle.

Prise en charge et conclusions

Les TMS sont traitées avec des mesures préventives primaires et secondaires afin d’éviter des lésions neurologiques et des conséquences socioprofessionnelles.
Dans un rapport de janvier 2014,2 l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) observe, entre 1995 et 2012, une progression en Suisse des rentes de l’assurance-invalidité aux dépens des troubles mentaux, avec une régression des rentes AI attribuées pour des TMS de 3,3% annuellement.
La cinquième révision de la loi sur l’assurance-invalidité,15 entrée en vigueur en janvier 2008, a eu pour objectif prioritaire, surajouté à celui de favoriser le maintien de l’emploi et une réinsertion professionnelle rapide, l’introduction d’un dispositif de détection et d’intervention précoce en renforçant les mesures professionnelles, en particulier la prévention, l’adaptation du poste de travail. Le premier bilan de cette révision, paru en décembre 2012,15 reconnaît l’assainissement de l’AI, en favorisant le passage à une assurance de réadaptation, le nombre de nouvelles rentes a diminué de 50% depuis 2003. Parallèlement, les offices AI ont signalé, pour 2011, 11 500 cas de réadaptation professionnelle réussie, soit près du double de 2007.2 ,16
Avec le traitement, il faut distinguer une progression dans la prise en charge pour éviter une rechute. La phase aiguë est médicamenteuse, par prescription d’AINS et d’autres antalgiques. S’en suit une phase de récupération par correction des déficits avec l’aide des physiothérapeutes et des ergothérapeutes. La phase de consolidation est le maintien des acquis, confié aux ergothérapeutes, nécessitant une analyse ergonomique puis un aménagement du poste ou du plan de travail. Comme dans notre vignette, un traitement tardif est néanmoins nécessaire dans les TMS complexes de longue durée avec destruction articulaire ou rupture tendineuse. Les facteurs organisationnels à l’origine des TMS, la demande cognitive, la monotonie, la répétitivité du travail, les contraintes psychiques, sont un ensemble de paramètres à prendre également en compte. Finalement, les TMS invalidants peuvent entraîner des séquelles psychotraumatiques. Il s’agit ici de faire appel au psychiatre pour reconstruire la personnalité du malade. Souvent, l’expérience traumatique anéantit la mémoire du patient, et il peut développer une amnésie émotionnelle. Le travail nécessite la reconstruction de la personnalité pour retrouver le potentiel émotionnel.5 C’est un retour à la normalité par une aide psycho-socio-éducatrice.

Implications pratiques

> Les troubles musculosquelettiques (TMS) requièrent une approche multidisciplinaire : médecins de premier recours, rééducateurs, neurologues, médecins du travail, psychiatres
> Les TMS regroupent les pathologies des muscles, tendons, ligaments, articulations et nerfs de voisinage, qui sont en lien avec une activité professionnelle ou des activités sportives
> L’approche thérapeutique a recours à des mesures préventives, de rééducation, un bilan clinique avec ou sans neurophysiologie ou imagerie