LA SCAPULALGIE
Diagnostic et prise en charge des douleurs de la région scapulaire
Rev Med Suisse 2011;576-582
Résumé
La scapulalgie est l’un des motifs les plus fréquents de consultation ostéoarticulaire en médecine générale. Dans la majorité des cas, il s’agit d’une atteinte de la coiffe des rotateurs. Une anamnèse détaillée permet souvent d’exclure des douleurs irradiées, notamment d’origine cervicale ou viscérale. Un examen clinique comparatif de la mobilité active et passive donne une bonne orientation diagnostique pouvant être affinée par des tests cliniques spécifiques. La prise en charge des pathologies de la coiffe des rotateurs ne nécessite pas d’emblée une imagerie. L’échographie s’impose progressivement comme l’examen d’imagerie de choix. Pour les pathologies abarticulaires, la prise en charge est avant tout conservatrice. Seule, une rupture traumatique aiguë de la coiffe des rotateurs justifie une intervention chirurgicale rapide.
Épidémiologie
Les pathologies de l’épaule représentent le troisième motif de consultation musculosquelettique1 après les atteintes cervicales et les lombalgies.2 Plus de 60% des cas de scapulalgies sont secondaires à des lésions de la coiffe des rotateurs.3 Dans la majorité des cas, il s’agit d’une atteinte dégénérative et l’incidence est clairement corrélée avec l’âge des patients.
Diagnostic différentiel
Une anamnèse systémique détaillée à la recherche d’une pathologie viscérale ou locorégionale doit être entreprise. De plus, lorsque le status clinique de l’épaule est normal, il faut le compléter par un examen des structures susceptibles d’engendrer des douleurs irradiées, en particulier la colonne cervicale.
Scapulalgies viscérales et locorégionales
L’infarctus du myocarde est une cause classique de douleurs scapulaires. Une douleur scapulaire isolée, sans douleur thoracique, est néanmoins rare. Les affections vésiculaires et ovariennes irradient elles, plutôt postérieurement sur l’omoplate et rarement en direction du moignon de l’épaule. Les douleurs, en cas d’atteinte pulmonaire, notamment du diaphragme, s’étendent également plutôt vers la région cervicale basse, le trapèze et le creux sus-claviculaire. Une dissection aortique peut entraîner des douleurs de l’épaule. Là aussi, la symptomatologie isolée de l’épaule est exceptionnelle. Finalement, plusieurs pathologies osseuses musculaires ou articulaires régionales sont susceptibles d’engendrer des douleurs scapulaires, en plus de leurs topographies locales. On peut citer les arthropathies sterno-claviculaires, une atteinte du grand dentelé, une innervation par le nerf long thoracique ou une irritation du scalène en cas de syndrome du défilé thoracique.
Scapulalgies cervicales
Les douleurs scapulaires d’origine cervicale sont probablement la cause la plus fréquente d’erreurs diagnostiques. Une topographie algique postérieure en regard de l’omoplate est rarement en relation avec une pathologie de la coiffe des rotateurs ou une arthropathie de l’épaule, mais plutôt la manifestation d’une atteinte viscérale ou le plus souvent, d’une atteinte cervicale. L’irradiation distale postérieure des pathologies cervicales s’explique, soit par des composantes musculaires, soit par une irritation des rameaux postérieurs cervicaux moyens C4-C5 ou bas C7-C8.4 Une atteinte radiculaire antérieure peut également entraîner des scapulalgies, les dermatomes C4 et C5, recouvrant largement l’épaule. Le syndrome cervical se manifeste par une limitation de la mobilité cervicale en flexion-extension ou en rotation, ainsi que des douleurs segmentaires à la palpation du sillon paravertébral. Le syndrome radiculaire se caractérise par des douleurs à l’éternuement, une irradiation distale de topographie radiculaire : C6 le pouce, C8 le cinquième doigt, C7 l’index et le majeur, un éventuel signe de Lasègue des membres supérieurs et/ou des troubles neurologiques associés : déficit des réflexes, de la sensibilité, voire de la force.
Scapulalgies originaires de l’épaule
Afin de préciser l’éthologie d’une douleur de l’épaule, il faut bien entendu tenir compte du terrain : circonstances de l’apparition, traumatismes, microtraumatismes, pathologies articulaires diffuses ou uniquement locales, type et âge des patients. La distinction entre des douleurs mécaniques et des douleurs inflammatoires demeure fondamentale. Ces dernières sont très fréquentes dans les pathologies de la coiffe des rotateurs. Lorsqu’elles sont limitées à l’épaule et unilatérales, elles sont rarement la manifestation d’une maladie inflammatoire systémique, mais plutôt le symptôme d’une inflammation locale, souvent sur des troubles dégénératifs ayant entraîné des dysfonctions et secondairement une irritation locale. La topographie des douleurs est importante à préciser. Les pathologies de la coiffe des rotateurs irradient très souvent vers le biceps, souvent décrites uniquement à cet endroit. La topographie seule ne permet néanmoins pas de préciser l’étiologie en raison des superpositions. La chronologie des douleurs joue également un rôle important dans le diagnostic et la prise en charge. On investiguera et on ne traitera pas de la même manière une rupture aiguë traumatique de la coiffe des rotateurs et une atteinte chronique dégénérative.
Examen clinique de l’épaule
Il comprend quatre phases : d’abord une brève inspection. On va en particulier évaluer la trophicité du deltoïde. Bien développé, ce muscle permet souvent de compenser, voire de masquer les lésions sous-jacentes de la coiffe des rotateurs. Il vaut la peine d’examiner également les troubles statiques de la colonne vertébrale. La palpation est plus utile pour l’acromio-claviculaire que pour la coiffe des rotateurs, le deltoïde empêchant une palpation fine des tendons sous-jacents. La troisième étape, la plus importante, est l’examen de la mobilité qui doit se faire en deux temps : mobilité active, puis passive. La comparaison entre les deux va permettre de préciser le diagnostic et la prise en charge. L’abduction jusqu’à 90˚ mobilise l’articulation gléno-humérale, au-delà l’articulation scapulo-thoracique avec activation du trapèze et la mise sous tension de l’articulation acromio-claviculaire. Une limitation de l’adduction va révéler d’éventuelles lésions du muscle pectoral, notamment post-traumatique. L’antépulsion ou flexion antérieure est en général conservée dans les capsulites, mais limitée en cas de lésion intra-articulaire comme une arthrose ou une arthrite gléno-humérale. Les rotations testent surtout le sous- et le sus-épineux pour l’externe et le sous-scapulaire pour l’interne.
Sur la base de l’examen de la mobilité et du type de douleurs, cinq tableaux cliniques peuvent être distingués :
le premier tableau est l’épaule douloureuse simple où l’on ne retrouve aucune limitation de la mobilité.
Dans le deuxième tableau, l’épaule aiguë hyperalgique, toute mobilisation, au contraire est rendue quasi impossible en raison de douleurs importantes, souvent à caractère inflammatoire.
Le troisième tableau, l’épaule pseudo-paralytique est caractérisée par une limitation uniquement active due à une rupture de la coiffe des rotateurs, qu’il faut distinguer d’une paralysie neurologique.
Le quatrième tableau est la capsulite rétractile, associant des limitations d’abductions et de rotations, aussi bien actives que passives.
Le cinquième tableau : épaule douloureuse mixte, correspond à une combinaison des atteintes précédemment décrites, mêlant une limitation partielle de la mobilité active et passive.
La figure 1 résume les corrélations entre les limitations de la mobilité, le tableau clinique et les principales étiologies.
De multiples tests cliniques susceptibles de préciser le diagnostic ont été décrits, mais dont l’interprétation doit demeurer prudente. En effet, ils n‘ont été validés que dans les épaules douloureuses simples ou douloureuses mixtes légères. De plus, ils ont été évalués uniquement par des spécialistes (orthopédistes essentiellement, voire rhumatologues). Finalement, la majorité d’entre eux n’ont été étudiés que dans des cohortes avec forte prévalence de la pathologie recherchée et souvent par très peu d’auteurs différents pour le même test. Dès lors, peu sont réellement diagnostiques.5 Certains sont de bons tests de détection qui permettent raisonnablement d’exclure la maladie lorsqu’ils sont négatifs, d’autres de bons tests de confirmation, leur présence étant fortement suggestive de l’atteinte recherchée.
Le tableau 1 résume les conclusions des trois principales méta-analyses sur ce sujet.5-7
Faut-il faire une imagerie et laquelle ?
La majorité des pathologies abarticulaires de l’épaule peuvent être traitées de manière conservative, sans avoir recours à une quelconque imagerie. Elle n’est nécessaire que si le diagnostic est incertain et la pathologie intriquée.
Ces dernières années, l’IRM et l’ultrason se sont imposés comme les techniques de choix.8,9 Le tableau 2 résume les avantages respectifs de ces deux modalités d’imagerie. L’arthro-IRM s’avère légèrement supérieure à l’ultrason en cas de petites ruptures transfixiantes. L’IRM visualise par contre mal les calcifications,10 contrairement à l’ultrason qui peut d’ailleurs remplacer la radiographie pour cette pathologie. En cas de lésion intra-osseuse, l’IRM est nettement supérieure, puisque l’ultrason ne permet de visualiser que la surface corticale. En termes de confort pour le patient, l’ultrason a bien des avantages ; il peut être fait au cabinet, dans un délai beaucoup plus court et son prix est deux à trois fois inférieur. Lorsqu’il est pratiqué par un rhumatologue, celui-ci peut intégrer son examen clinique aux résultats de l’imagerie.
La radiographie standard reste utile lorsque l’on n’a pas accès à l’ultrason et que l’on recherche une pathologie osseuse (fracture, tumeur, etc.). L’IRM est, très vraisemblablement, trop souvent demandée d’emblée. Elle devrait être réservée aux situations où l’ultrason n’apporte pas la solution ou lorsqu’une intervention chirurgicale s’avère indispensable. En effet, rares sont les orthopédistes qui acceptent d’opérer une coiffe des rotateurs uniquement sur la base d’images échographiques. Elle permet par ailleurs, de mieux évaluer l’atrophie musculaire graisseuse, principal facteur pronostique d’une mauvaise évolution postopératoire.11
Prise en charge
Soixante à 70% des conflits sous-acromiaux vont évoluer de façon satisfaisante avec une prise en charge conservatrice à moyen terme (deux à trois ans).12 Les recommandations de consensus proposent en première intention un traitement conservateur.
Traitements conservateurs des pathologies de la coiffe des rotateurs
Les nombreuses méta-analyses sur les différentes modalités de prise en charge des pathologies de l’épaule13-15peinent à démontrer clairement la supériorité d’un traitement par rapport à un autre.16
Quand est-il, en particulier, des injections locales de stéroïdes pour lesquelles les patients sont fréquemment référés aux rhumatologues ? Jusqu’en 2007, sept méta-analyses se sont intéressées à cette problématique.15 Leurs résultats sont parfois contradictoires en raison du choix des études retenues et des critères de réponses (mobilité, fonction, douleurs).14 La dernière publiée par Aroll17 conclut à une efficacité certaine par rapport au placebo ou aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Le nombre de patients à traiter (NNT) pour avoir un bénéfice est petit, de l’ordre de trois patients. L’effet, qui dure de trois à 38 semaines en fonction des études, est dose-dépendant. La disparition du bénéfice à long terme a par ailleurs été démontrée, aussi bien dans des études observationnelles de cohortes, que lors d’études randomisées.
A-t-on de meilleurs résultats si l’infiltration est faite sous échographie ?18 La littérature ne fournit pas de réponse définitive. Naredo,19 dans une étude randomisée, évaluée en aveugle, a montré un bénéfice significatif en termes de diminution des douleurs et un score fonctionnel à six semaines chez les patients infiltrés sous échographie. Par contre, Eckeberg20 a fait paraître en 2008 une étude en double aveugle, stéroïdes en intramusculaire versus infiltration sous-acromiale échoguidée, plutôt négative. Il retrouvait une différence significative entre les deux groupes en faveur du groupe infiltré par des stéroïdes pour un index de qualité de vie adapté aux pathologies de l’épaule, mais pas pour l’échelle visuelle analogique (EVA), ni pour le score fonctionnel. Tous les patients de cette étude recevaient néanmoins de la xylocaïne en sous-acromial. Or, plusieurs travaux ont démontré une efficacité prolongée de la xylocaïne en sous-acromial dans les pathologies de la coiffe des rotateurs.21
La majorité des travaux évaluant la réponse aux infiltrations de stéroïdes, y compris celui d’Ekeberg, n’ont pas pris en compte le diagnostic exact de l’atteinte de la coiffe, mêlant tendinite, bursite, rupture partielle et calcification, voire schéma capsulaire.4,17 Nous venons de terminer une étude randomisée, évaluée en aveugle, où la moitié des patients ont bénéficié d’une infiltration de bétaméthasone (Diprophos) échoguidée en fonction de l’image ultrasonographique et l’autre moitié en aveugle selon les repaires anatomiques. L’EVA pour les douleurs nocturnes inflammatoires apparaît significativement abaissée dans le groupe infiltré sous échographie à deux et six semaines. De plus, dans ce collectif, certaines pathologies ultrasonographiques semblent mieux répondre à l’infiltration que d’autres. Néanmoins, le peu de patients dans chaque groupe ne permet pas de conclusions définitives et justifie des travaux complémentaires.
Traitement chirurgical du conflit sous-acromial et des pathologies de la coiffe des rotateurs en l’absence de rupture
Il est habituellement proposé de traiter ces lésions, après l’échec d’un traitement conservateur,22 par une acromioplastie. Plusieurs revues récentes ont comparé les résultats chirurgicaux à la poursuite des traitements conservateurs.23 Elles concluent toutes à l’absence de supériorité de la chirurgie par rapport au traitement conservateur, y compris chez des patients ayant échoué à un traitement conservateur pendant trois mois.12
Traitement chirurgical des ruptures de la coiffe des rotateurs
Les rares ruptures traumatiques aiguës chez l’homme jeune ou d’âge moyen méritent une prise en charge chirurgicale relativement précoce (quelques mois).
Les ruptures dégénératives sont de loin les plus nombreuses, elles surviennent avant tout chez les patients âgés et sont souvent asymptomatiques et bilatérales.24 Plusieurs travaux ont néanmoins démontré que 40% des coiffes rupturées asymptomatiques avaient tendance au cours des ans à se manifester par des douleurs.25 D’autres auteurs observent par contre l’absence de majoration des symptômes algiques et une stabilité de la fonction, malgré une aggravation des lésions anatomiques avec un traitement conservateur.12,26
Alors quand faut-il opérer une rupture dégénérative ? La réponse n’est pas tranchée. Un consensus de la Société française de rhumatologie27 propose de le faire uniquement en cas d’échec du traitement conservateur, ainsi qu’en fonction de critères individuels propres à chaque malade (âge, attente quant à la récupération fonctionnelle, état général) et/ou anatomiques (essentiellement dégénérescence musculaire, taille de la rupture).
Conclusions
Dans les pathologies abarticulaires de l’épaule qui sont les affections les plus fréquemment responsables de scapulalgies, une bonne anamnèse, ainsi qu’un examen clinique complet permettent souvent d’obtenir un diagnostic suffisamment précis pour entreprendre une prise en charge adéquate. Dans les cas douteux, notamment si les symptômes se prolongent ou en cas de doute quant à la nécessité d’une intervention chirurgicale, une imagerie complémentaire peut s’avérer nécessaire. Dans la majorité des situations, l’ultrason est l’examen de choix. La majorité des pathologies répond à un traitement conservateur. La place de la chirurgie, en dehors de la rupture de coiffe des rotateurs traumatique aiguë, reste à préciser.
Implications pratiques
> Une anamnèse détaillée permet souvent de distinguer les douleurs scapulaires irradiées de celles originaires de l’épaule
> L’examen clinique doit comporter une évaluation de la mobilité active et passive. La comparaison des deux permet une bonne appréciation du diagnostic
> Ce diagnostic peut être affiné par des tests cliniques spécifiques
> Le diagnostic clinique suffit souvent pour la prise en charge initiale et il n’y a pas de nécessité d’imagerie systématique
> L’échographie s’impose progressivement comme l’examen d’imagerie de choix pour les pathologies de la coiffe des rotateurs
> La prise en charge doit demeurer conservatrice dans la majorité des pathologies de la coiffe des rotateurs
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Bibliographie
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Abstract
Shoulder pain is one of the most common reasons for bone and joint consultations in general practice. In most situations, it is due to a lesion of the rotator cuff. A detailed history can often exclude a cervical or visceral origin of the pain. A full clinical examination especially active and passive mobility provides a good diagnostic approach. It can be refined by specific clinical tests that must nevertheless be interpreted with caution. The management of pathologies of the rotator cuff does not require imaging immediately. Ultrasound is increasingly recognized as the imaging procedure of choice in most situations. For abarticular shoulder pathologies, therapy is primarily conservative. The exact role of infiltration of steroids remains unclear. Only an acute traumatic rupture of the rotator cuff warrants prompt surgical intervention.
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