Introduction

Les maladies neuromusculaires non acquises (MNM) sont un groupe hétérogène d’environ 120 maladies très différentes. Bien que considérées rares, leur nombre cumulé est estimé à plusieurs milliers de personnes en Suisse. En raison de l’absence de traitement de leur caractère génétique, la rééducation est indispensable. Le suivi régulier de ces patients permet d’éviter des complications secondaires, des déformations et des douleurs articulaires, sources de limitations de la qualité de vie. En raison de la variété des MNM, il n’y a pas d’uniformité quant aux thérapies, entraînements ou exercices, bien que des conférences de consensus aient proposé des recommandations.1 –3 Cet article se propose d’apporter des conseils pour assurer une prise en charge optimale des patients MNM.

Bénéfice des exercices physiques

Chez le sujet sain, les bénéfices attendus de l’exercice sont l’augmentation du débit cardiaque et l’amélioration de l’apport tissulaire en oxygène, induisant l’endurance. On pourrait donc s’attendre au même résultat dans les MNM, mais il y a peu d’études sur le sujet.4 ,5 Il apparaît cependant qu’un entraînement régulier augmente la force musculaire jusqu’à 50% de la valeur initiale, par hypertrophie musculaire. Les résultats sont contradictoires pour l’endurance, certaines études démontrant l’augmentation de la VO2max alors que d’autres ne signalent pas de changement. Une revue Cochrane sur le sujet conclut à l’absence de complications des entraînements musculaires, mais les résultats additionnés des publications sont insuffisants pour démontrer un bénéfice statistique.5

Le myopathe au cabinet ou comment détecter une progression de la maladie

Le médecin traitant est la personne de référence pour le patient MNM, même s’il est suivi par une équipe multidisciplinaire. Il est donc important qu’il suive l’évolution du patient, détecte ses complications et puisse avoir recours à un spécialiste au moment adéquat. Pour cela, il faut mesurer les capacités et limitations, par l’examen de la force musculaire, la mesure du diamètre des membres, le bilan articulaire, l’évaluation de la respiration et de la déglutition.

Suivi des maladies neuromusculaires et bilan des capacités

Il est proposé une évaluation annuelle de la force musculaire selon l’échelle du Medical Research Council (tableau 1 ). On peut se limiter à l’examen de certains groupes musculaires ou de certaines fonctions clés, comme marcher sur la pointe des pieds, sur les talons, monter sur un escabeau, se relever de la position accroupie. Pour la marche, on peut mesurer la distance parcourue en six minutes ou chronométrer le temps mis pour parcourir dix mètres.
Tableau 1.
Cotation de la force musculaire selon le Medical Research Council16
La mesure du périmètre des membres est grossière pour suivre la progression de l’atrophie musculaire. L’évaluation de la masse musculaire par résonance magnétique est réservée aux centres spécialisés ou à des circonstances particulières, comme la recherche d’une rupture musculaire ou tendineuse.
Le bilan ostéo-articulaire est annuel dans le suivi des patients, particulièrement chez les enfants, pour surveiller l’apparition d’attitudes vicieuses des articulations, de flexum, de contractures avec enraidissement des articulations et de troubles statiques du rachis. La collaboration avec un orthopédiste est nécessaire.
L’évaluation de la respiration est systématique, les épreuves fonctionnelles respiratoires étant recommandées une fois par an. Ceci permet de discuter des indications à la mise en place d’une ventilation assistée ou d’une aide à la toux.
La déglutition peut être simplement appréciée par l’examen clinique de la cavité buccale et un essai de déglutition, comme avaler une gorgée d’eau. En cas de déficits, une évaluation par un ORL intéressé sera demandée. Un dépistage annuel est recommandé (tableau 2 ). La collaboration avec une diététicienne peut être utile, comme la rééducation de la déglutition.
Tableau 2.
Principales manifestations révélatrices de troubles de déglutition

Comment mesurer l’indépendance fonctionnelle des patients ?

La quantification des limitations des activités quotidiennes, et l’évaluation des modifications éventuelles à apporter à l’environnement ou à des moyens auxiliaires nécessaires pour le maintien du patient dans la vie socioprofessionnelle sont effectuées par un ergothérapeute.

Pour mesurer concrètement les fonctions motrices, un score international, la mesure de fonction motrice (MFM), est utile, car il est spécifique aux maladies neuromusculaires et il donne une mesure chiffrée des capacités motrices.6Mais pour se familiariser à la MFM, une formation est souhaitable.
Deux tests sont plus simples, l’évaluation des fonctions motrices selon le Hammersmith Motor Ability Score (mesure les fonctions des membres inférieurs et les transferts) et l’examen des fonctions des membres supérieurs selon leBrooke Upper Extremity Scale.
La mesure d’indépendance fonctionnelle (MIF) est un instrument clinimétrique de l’autonomie, même si elle n’est pas spécifique aux MNM.7 Cette évaluation est annuelle en offrant l’image de la capacité du patient dans les activités quotidiennes.

Quelles techniques de rééducation ? indications et contre-indications

Le médecin prescrit les thérapies et la physiothérapie. Il est certes facile de signer une ordonnance mais il est difficile de savoir quel traitement recommander, d’autant que le travail des thérapeutes est peu connu. Le début d’une physiothérapie devrait comprendre des échanges d’informations entre patient, médecin et thérapeutes.
Toute thérapie à un prix et prescrire de la physiothérapie est onéreux dans les MNM, considérées comme complexes par les physiothérapeutes, d’où une facture élevée, d’autant que les séances sont prescrites deux à trois fois par semaine. C’est d’ordinaire après une période d’un an que l’assurance-maladie demande leur justification. La réponse peut être difficile si on ne connaît pas les résultats des traitements et l’évolution. Un suivi régulier avec l’utilisation d’échelles apprécie le type et la fréquence des traitements. Le médecin peut aussi demander un rapport au physiothérapeute.
Les objectifs de physiothérapie sont d’effectuer une mobilisation active incluant un renforcement musculaire, et une mobilisation passive de lutte contre les contractures, les rétractions musculotendineuses et les mauvaises postures.
La mobilisation active lutte contre la perte de force et évite déconditionnement, ostéoporose et prise de poids, et elle inclut exercices personnels de gymnastique à domicile ou en salle de fitness, ou de sport-handicap. Une prise en charge intensive au cours d’un séjour de réadaptation peut être indiquée. La mobilisation active dépend ainsi de la motivation du patient et de son degré d’autonomie. En restant indépendant, une prise en charge de physiothérapie ne se justifie pas, mais des centres de réadaptation proposent des séances de gymnastique spécifiques. Cette prise en charge apparemment simple permet de trouver des parades personnelles à l’accentuation de la faiblesse musculaire, de la fatigue, des douleurs et du repli social.
D’un point de vue physiologique, le renforcement musculaire améliore le travail des fibres musculaires restées viables et stimule la réinnervation par divisions des cellules satellites, ces cellules souches du tissu musculaire. Il faut pour cela favoriser les exercices concentriques (mouvements en raccourcissement du muscle travaillé) plutôt qu’excentriques (mouvements en élongations contrôlés du muscle travaillé). Le travail est sous-maximal, à environ 60% de la force musculaire maximale sur des muscles ayant encore au moins une force musculaire MRC ≥ 3, et avec de brèves périodes fractionnées de repos (tableau 3 ).8 Les exercices excentriques peuvent provoquer des lésions musculaires pendant la décontraction.
Tableau 3.
Types d’exercices et activités sportives à pratiquer par le patient
Lors de perte de force plus importante, il est proposé un travail dynamique, qui conjugue phases concentriques et isométriques, à basse intensité. Si l’entraînement est trop intense, des myalgies, une fatigabilité, des crampes, ou même une baisse de rendement avec des urines foncées par rhabdomyolyse apparaissent. Le travail a lieu deux à trois fois par semaine, avec un jour de repos entre les séances. Ce type d’entraînement n’est pas délétère pour le muscle, bien que son réel bénéfice fonctionnel soit difficile à démontrer dans toutes les MNM, sauf dans les myopathies métaboliques, type glycogénose, mitochondropathie et la dystrophie musculaire de Becker.3 ,9 –11
L’électrostimulation peut être un complément, mais nécessite plusieurs mois avant d’obtenir un gain de force.12 Elle peut être prescrite si les muscles ont conservé une force d’au moins 15% de leur valeur normale. En Suisse, l’appareil d’électrostimulation type Compex peut être loué en pharmacie, mais pour un traitement au long cours, son achat est proposé, surtout dans les atteintes localisées, comme les myosites à inclusion avec déficit prédominant sur les muscles quadriceps.
L’utilisation des appareils d’isocinétisme est un moyen complémentaire. Les exercices sont réalisés en mode de contraction volontaire dynamique et à une vitesse constante grâce à une résistance, régulation assurée par un appareil externe (par exemple Cybex NORM ou Moflex). Le patient est motivé par le rétrocontrôle visuel, qui l’incite à se dépasser, mais les résultats sont inconstants.13
Lorsque le patient n’arrive plus à réaliser d’entraînement musculaire, une prise en charge individuelle reste possible, avec une mobilisation passive, deux à trois fois par semaine, le but étant de limiter les contractures et les rétractions. Les proches peuvent assurer une partie de cette mobilisation. Pour assurer des amplitudes articulaires optimales, les étirements sont essentiels, mais ils peuvent être combinés au port d’attelles de positionnement ou à des appareils de verticalisation. Les massages précèdent souvent la séance de physiothérapie et sont toujours ressentis comme une source de bien-être. La balnéothérapie dans l’eau à 30°C permet de redresser les personnes non marchantes et de mobiliser activement les membres dans de grandes amplitudes, en améliorant ainsi l’élasticité musculaire, puis les mobilisations, étirements et postures. La tolérance générale est bonne mais la fatigabilité des patients, leur tolérance à la chaleur et les risques cardiovasculaires doivent être pris en compte.
Avec la progression de la maladie, des troubles de la statique peuvent apparaître malgré la physiothérapie ; scoliose, camptocormie, enraidissement du bassin, pieds en varus équins. Il faut vérifier le positionnement du patient dans sa chaise, l’adapter au besoin (cales de soutien, mettre une coque, régler les cale-pieds). Le traitement des scolioses peut impliquer le choix d’un corset baleiné ou une ceinture lombaire lors de l’hyperlordose. La camptocormie est difficile à compenser, mais l’utilisation d’un corset en cuir ou d’une orthèse est recommandée.14 ,15 Pour contrecarrer une tête tombante, une collerette, minerve ou têtière peuvent être utilisées. Le réglage en hauteur des pieds limite l’apparition de pieds en varus équin et facilite la verticalisation ou les transferts ; l’adaptation du chaussage (avec ou sans orthèse) fait donc partie intégrante de la prise en charge.

Rôle des nouvelles technologies

De nouveaux appareils, comme des exosquelettes d’orthèses robotisées permettant les mouvements des bras ou des jambes, peuvent aussi favoriser un mouvement naturel et contribuer à son endurance. Certains permettent de remarcher avec assistance, par exemple avec le Lokomat ou le Motion Maker. Dans le futur, la robotique va certainement diminuer l’aide nécessaire aux patients pour assurer une grande partie de leurs activités quotidiennes et leur permettre aussi de s’intégrer dans la vie sociale et même professionnelle.

Prise en charge multidisciplinaire et consultations spécialisées

Comme préalablement discuté, la prise en charge des MNM repose sur des évaluations régulières par le médecin traitant. Lorsque la situation s’aggrave, un suivi spécialisé par une équipe pluridisciplinaire avec un neurorééducateur nous semble à recommander au moins une fois l’an. Cette consultation pourra adapter la prise en charge en fonction des résultats d’évaluations fonctionnelles et d’un bilan dirigé de médecine interne, des fonctions cardio-pulmonaires et de l’état psychologique du patient. Une telle consultation a pu par exemple être mise en place dans le Département des neurosciences cliniques à Lausanne (contacts : Stefano Carda, Thierry Kuntzer) et dans l’Unité de neuropédiatrie (contacts : Christopher Newman, Pierre-Yves Jeannet).

Conclusion

La prise en charge de rééducation du patient MNM est basée sur une approche pragmatique régulière. Pour le médecin traitant, l’utilisation d’outils cliniques simples sert à guider et motiver la rééducation, y compris par auto-entraînement.17 Pour les centres de références, une approche multidisciplinaire est indispensable pour la prévention des complications et l’amélioration de la qualité de vie des patients.

Implications pratiques

> La réadaptation des maladies neuromusculaires nécessite une approche multidisciplinaire
> Un suivi régulier des patients avec des échelles de mesure validées est nécessaire
> La physiothérapie doit privilégier le renforcement musculaire avec des exercices concentriques plutôt qu’excentriques, sous-maximaux (60% de la force maximale) sur des muscles encore efficients (MRC > 3) et durant de brèves périodes fractionnées de repos
> Dans les formes plus évoluées, un travail dynamique, même à basse intensité, est à recommander