Introduction1

L’épaule douloureuse est une plainte fréquente. En médecine générale, elle représente 5% des motifs de consultation. Sur le plan médical, on parle alors de scapulalgies ou omalgies.
Dans 60% des cas, ces omalgies sont secondaires à des lésions de la coiffe des rotateurs. Pour la majorité d’entre elles, il s’agit d’une atteinte dégénérative souvent liée à l’âge.
Seules 50% des pathologies de l’épaule nouvellement diagnostiquées sont résolues à six mois. Cette tendance à la chronicité entraîne des conséquences à long terme : absentéisme et coûts médicaux élevés.
Plusieurs facteurs de risque de chronicité sont à rechercher car ils jouent un rôle déterminant dans la prise en charge et le pronostic. Sur le plan physique, ces facteurs sont le port de charges lourdes, les mouvements répétitifs, la conduite automobile prolongée, les troubles du sommeil, le tabagisme et la consommation de caféine. Les facteurs psychosociaux sont l’insatisfaction au travail, le statut d’immigré et la détresse psychosociale.
L’épaule présente une structure anatomique complexe avec de multiples couples musculaires, des tendons, des bourses, l’articulation gléno-humérale elle-même renforcée d’une capsule de ligaments et d’un labrum. Toutes ces structures sont susceptibles d’être lésées et dès lors responsables d’algies et d’entraves au fonctionnement. Lesfigures 1 et 2 résument les éléments anatomiques constitutifs de l’épaule. La fonction des muscles est la suivante : 1) muscle sus-épineux – début de l’abduction (jusqu’à 30°) ; 2) muscle sous-épineux – rotation externe ; 3) muscle sous-scapulaire – rotation interne et adduction ; 4) muscle petit rond (teres minor) – rotation externe ; 5) muscle biceps, long chef – abduction, antépulsion et 6) muscle biceps, court chef – adduction, antépulsion.
Figure 1.
Vue antérieure de l’épaule
N.B. La bourse sous-acromiale est très riche en récepteurs de la douleur.
Figure 2.
Vue postérieure de l’épaule

Classification des pathologies de l’épaule1 –3

On peut classer les douleurs de l’épaule de différentes manières. Nous proposons trois catégories (tableau 1 ) : 1) une origine post-traumatique ; 2) des causes intrinsèques consécutives aux lésions des structures anatomiques décrites ci-dessus et 3) des causes extrinsèques dont l’origine se situe à distance.
Tableau 1.
Classification des pathologies pouvant générer des douleurs d’épaule
Le terme de périarthrite scapulo-humérale (PSH) est non spécifique. Il désigne plusieurs affections de l’épaule, dont les tendinopathies de la coiffe des rotateurs et la capsulite rétractile. Aussi, ce terme de PSH ne devrait-il pas être employé sans préciser quelles sont les structures morphologiques concernées.

Démarche diagnostique 2 –5


Eléments anamnestiques

En présence d’une symptomatologie douloureuse d’épaule, certains points spécifiques de la démarche diagnostique sont particulièrement importants.
Tout d’abord, les drapeaux rouges doivent être passés en revue chez tout patient à la recherche de critères d’urgence et de situations à risque (tableau 2 ). Le tableau 3 présente les situations pathologiques à suspecter, en présence de tel ou tel drapeau rouge.
Tableau 2.
Drapeaux rouges1–3
Tableau 3.
Suspicion diagnostique en fonction des drapeaux rouges
S’il y a eu traumatisme, il est utile d’en spécifier le mécanisme. Il s’agit le plus souvent de traumatismes contondants, comme une chute avec réception sur l’épaule (luxation acromio-claviculaire, fracture de clavicule) ou une chute sur le bras en extension (fracture de l’humérus proximal). La luxation gléno-humérale peut être provoquée par des contractions musculaires violentes, comme celles générées lors d’une crise épileptique (grand mal) ou d’une électrocution. En ce qui concerne la douleur, il importe de distinguer le caractère mécanique (à l’effort) ou inflammatoire (nocturne, au repos), l’irradiation (par exemple, les dermatomes C4 et C5 recouvrent largement l’épaule, C6 le pouce, C7 l’index et le majeur et C8 l’auriculaire), et la localisation précise si possible. Une topographiepostérieure en regard de l’omoplate est rarement en relation avec une pathologie de la coiffe des rotateurs ou une arthropathie de l’épaule, mais souvent la manifestation d’une atteinte viscérale ou, le plus souvent, d’une atteinte cervicale. Les mouvements et activités qui exacerbent la douleur sont aussi à rechercher. Dans ce cadre, il convient de préciser le type de travail, les loisirs et les sports pratiqués en mettant l’accent sur d’éventuels changements de charge soulevée et d’équipements utilisés. Certains symptômes associés sont d’importants indices, comme une faiblesse ou une raideur, l’atteinte ou non du côté dominant. Il ne faut pas non plus négliger l’anamnèse systématique, afin de ne pas manquer une douleur référée (tableaux 1 et 3 ). On recherchera des symptômes cardio-pulmonaires, digestifs et neurologiques en particulier, ainsi que des symptômes généraux (fatigue, etc.) et ostéo-articulaires associés (par exemple, cervicaux ou du membre supérieur ipsilatéral : coude, poignet, doigts). Certaines comorbidités, comme le diabète, l’hypothyroïdie (tous deux augmentant le risque de capsulite rétractile) ou une néoplasie sont un contexte particulier qui implique la considération de pathologies spécifiques. Enfin, les antécédents, comme un traumatisme ancien et les traitements, une éventuelle chirurgie à ce niveau, sont importants à noter.

Examen clinique

L’examen clinique de l’épaule doit comporter une inspection soigneuse torse nu, en portant une attention particulière sur les techniques d’habillage et de déshabillage. Il est utile de noter la trophicité du deltoïde ; bien développé, ce muscle permet souvent de compenser, voire de masquer les lésions sous-jacentes de la coiffe des rotateurs. Lamobilité passive, puis la mobilité active en position assise, en comparant les deux épaules. La force sera mesurée dans les différents plans. Pour vérifier la fonction spécifique de chaque muscle ou en définir l’atteinte, on peut utiliser des tests musculaires spécifiques (figure 3 et tableau 4 ). Leur interprétation doit demeurer prudente, en raison de leur faible sensibilité (beaucoup de faux négatifs) pour la détection d’une atteinte de la coiffe des rotateurs, pour laquelle peu d’entre eux sont donc réellement diagnostiques. Leur utilité peut être améliorée par la combinaison de tests. En fonction des drapeaux rouges présents et surtout si la douleur n’est pas reproduite au status de l’épaule, l’examen d’autres organes, en particulier cardio-pulmonaire et digestif, est capital.
Figure 3.
Exécution des tests de mouvements de l’épaule
Tableau 4.
Quel test pour quel muscle ?
* Tests mettant à l’épreuve les muscles de la coiffe des rotateurs.

Examens complémentaires

Les examens complémentaires ne sont pas toujours indispensables et leur indication dépend du contexte. La majorité des pathologies articulaires de l’épaule peuvent être traitées de manière conservatrice, sans avoir recours à une quelconque imagerie. Une imagerie n’est nécessaire que si le diagnostic est incertain ou que la pathologie est intriquée ainsi qu’en présence de douleurs de l’épaule dans un contexte traumatique.
L’ultrasonographie (US) permet une très bonne visualisation des calcifications et des pathologies de la coiffe, par contre elle a une mauvaise résolution intra-osseuse, puisqu’elle ne permet de visualiser que la surface corticale. Elle représente un net avantage en termes de confort pour le patient et de coût (CHF 100-200.–).
L’IRM apporte une très bonne visualisation intra-osseuse et des pathologies de la coiffe, Sauf pour les calcifications, pour lesquelles l’US reste l’examen de choix. Son prix se monte à CHF 600-900.–. Trop demandée d’emblée, l’IRM devrait être réservée aux situations où l’US n’apporte pas la solution ou lorsqu’une intervention chirurgicale s’avère indispensable. Dans ce cas, en particulier en présence de ruptures tendineuses non chroniques pouvant impliquer une indication chirurgicale, c’est l’arthro-IRM qui est l’examen de choix. Elle permet d’évaluer non seulement l’étendue de la rupture, mais aussi la rétraction et l’atrophie tendineuses et l’éventuelle dégénérescence graisseuse des muscles contre-indiquant une réparation chirurgicale.
La radiologie standard (RX) quant à elle reste utile sans accès à l’US et si l’on recherche une pathologie osseuse : fracture, tumeur, etc.
Les autres examens complémentaires, comme l’ECG, l’imagerie thoracique et abdominale, les analyses sanguines sont à discuter en fonction du contexte et en particulier en présence de drapeaux rouges.
L’algorithme (figure 4 ) propose une séquence dans la démarche diagnostique d’une épaule douloureuse dans le but de ne pas manquer une étiologie atypique.
Figure 4.
Algorithme diagnostique

Prise en charge et traitement 3 ,6

Le traitement des douleurs d’épaule post-traumatiques et extrinsèques ne fait pas l’objet de cet article. Pour les omalgies intrinsèques, en-dehors de la rupture aiguë de la coiffe des rotateurs, les recommandations de consensus proposent en première intention un traitement conservateur. L’objectif de la physiothérapie est le maintien de la mobilité de l’épaule. Celle-ci est controversée dans le traitement de l’épaule gelée, en particulier au stade initial qui comprend des douleurs inflammatoires. Lors de la phase 2, si elle provoque des douleurs, elle est alors contre-productive et risque d’aggraver la rétraction capsulaire. L’antalgie médicamenteuse, notamment par AINSsystémiques, est généralement recommandée : par exemple, ibuprofène ou diclofénac. Les formes «retard» sont particulièrement utiles pour soulager les douleurs nocturnes. En cas d’«épaule gelée» ou capsulite rétractile, certaines études anciennes ont suggéré que la calcitonine sous forme de spray nasal pouvait être utile associée aux AINS. Les infiltrations locales de corticostéroïdes peuvent être utiles dans les situations de crises douloureuses, en particulier en cas de tendinite calcifiante du sus-épineux et d’arthrose acromio-claviculaire. Les études sont cependant contradictoires sur leur effet bénéfique à moyen et à long termes par apport aux autres modalités de prise en charge conservatrice. De même, la supériorité d’infiltrations faites sous écho-guidage reste débattue. Finalement, les infiltrations de corticostéroïdes sont partiellement contre-indiquées en cas de rupture tendineuse, soit parce qu’en supprimant les douleurs, elles favorisent le passage d’une rupture partielle à une rupture complète, soit parce qu’il semble qu’elles puissent compromettre la réparation tendineuse.
La place de la chirurgie reste à préciser, en-dehors de la rupture traumatique aiguë de la coiffe des rotateurs. De rares cas méritent une prise en charge chirurgicale relativement précoce, de l’ordre de quelques mois.
Après échec d’un traitement conservateur, il est habituellement proposé de traiter les conflits sous-acromiaux et les pathologies de la coiffe des rotateurs sans rupture par une acromioplastie. Mais plusieurs études concluent à l’absence de supériorité de la chirurgie par rapport à la poursuite du traitement conservateur.
Pour les ruptures de la coiffe dégénératives, symptomatiques ou aggravées malgré un traitement conservateur, certaines recommandations proposent une prise en charge chirurgicale en fonction de critères propres à chaque patient (âge, état général et attentes quant à la récupération fonctionnelle, taille de la rupture et dégénérescence musculaire). Il en est de même pour les lésions du tendon du long chef bicipital (rupture ou tendinite chronique réfractaire) : en cas d’échec du traitement conservateur, une ténotomie avec ou sans ténodèse peut être indiquée.
Dans certains cas de capsulite rétractile ou «épaule gelée» qui ne récupèrent pas après de nombreux mois, une approche chirurgicale peut être proposée, intégrant des mobilisations sous narcose ou des capsulotomies ciblées par voie arthroscopique.

Complications et pronostic1 ,7 ,8

Seules 50% des pathologies scapulaires nouvellement diagnostiquées sont asymptomatiques après six mois, et 60% après douze mois. Leur pronostic va dépendre du type de diagnostics, dont certains sont repris ci-dessous. Lors d’une rupture chronique de la coiffe des rotateurs, l’abaissement de l’humérus par la coiffe n’est plus assuré, ce qui entraîne une migration de la tête humérale vers le haut avec développement possible d’une omarthrose secondaire.
Soixante à septante pour cent des conflits sous-acromiaux vont évoluer de façon satisfaisante avec une prise en charge conservatrice à moyen terme (deux à trois ans).
Les accès aigus sur tendinites calcifiantes régressent spontanément, dans de nombreux cas en quelques jours ou en quelques semaines.
L’épaule gelée évolue classiquement en trois stades : durant la première phase, il existe une inflammation capsulaire souvent responsable de douleurs inflammatoires. Elle est suivie d’une deuxième phase marquée par une réduction progressive de la mobilité et accompagnée de douleurs mécaniques déclenchées par une mobilisation au-delà de la rétraction capsulaire, raideur compromettant les activités de la vie quotidienne. Finalement, dans la grande majorité des cas, on constate une régression spontanée des symptômes avec récupération progressive de la mobilité liée au relâchement capsulaire. La durée moyenne d’évolution jusqu’à récupération complète est de 1,5 an.
De manière générale, un mauvais pronostic des omalgies est lié à l’âge, au sexe féminin, à des symptômes sévères ou récurrents et à des cervicalgies associées.

Conclusion

L’épaule douloureuse peut être le symptôme d’une pathologie extérieure à cette articulation, potentiellement grave et nécessitant une prise en charge urgente. Il convient de garder à l’esprit ces causes extrinsèques d’une omalgie, comme par exemple l’infarctus du myocarde, la pneumonie, ou une pathologie hépatobiliaire, en particulier lorsqu’on est face à une douleur mal localisable.
En ce qui concerne les pathologies intrinsèques, dans la majorité des cas, l’anamnèse et l’examen clinique, parfois complétés par une imagerie, suffisent à établir un diagnostic. Leur prise en charge sera le plus souvent conservatrice et pourra être entreprise au cabinet. Le pronostic sera amélioré par la prise en compte des facteurs de risque de chronicité.

Implications pratiques

> Une anamnèse détaillée permet souvent de distinguer les douleurs scapulaires extrinsèques pouvant compromettre le pronostic vital de celles originaires de l’épaule
> Dans les pathologies articulaires de l’épaule, une bonne anamnèse et un examen clinique complet permettent souvent d’obtenir un diagnostic suffisamment précis pour entreprendre une prise en charge adéquate
> Dans les cas douteux, notamment si les symptômes se prolongent ou en cas de doute quant à la nécessité d’une intervention chirurgicale, une imagerie complémentaire peut s’avérer nécessaire
> Dans la majorité des situations, l’US est l’examen de choix
> La plupart de ces pathologies répondent à un traitement conservateur
> Seule une rupture traumatique aiguë de la coiffe des rotateurs justifie une intervention chirurgicale rapide