Introduction

Un siècle s'est bientôt écoulé depuis qu'Arthur Legg, Jacques Calvé et Georg Perthes ont, par une curieuse coïncidence, décrit la même année, l'affection qui porte leur nom. L'histoire aurait aussi dû, à ce propos, retenir le nom de Henning Waldenström tant son rôle dans la définition et la description de la maladie aura été primordial. Ces auteurs doivent néanmoins à l'essor débutant de la radiologie d'avoir pu rapporter en 1910 cette pseudo-tuberculose dont ils ont, quelques années plus tard, souligné l'apparente bénignité. Ils entendaient ainsi individualiser cette affection de la vraie tuberculose car, non seulement elle demeurait une atteinte purement localisée, mais encore la hanche parvenait à retrouver une certaine capacité fonctionnelle. Durant un siècle, nous avons beaucoup appris sur cette maladie, mais en fait, il semble que nous en sachions encore peu sur elle. En effet, l'étiologie de cette affection demeure inconnue malgré toutes les hypothèses évoquées et les recherches réalisées. La pathogénie de cette maladie n'est pas claire même si un pas a été franchi avec l'affirmation d'un mécanisme vasculaire. Alimentées par ces incertitudes étiopathogéniques, les controverses concernant le traitement de la maladie de Perthes persistent. Le traitement de cette affection a néanmoins évolué de façon spectaculaire au cours des trente dernières années. Aujourd'hui, les traitements sont plus courts, les interventions chirurgicales permettent de raccourcir les hospitalisations et les immobilisations inacceptables pour l'enfant et sa famille.


Généralités

La maladie de Legg-Calvé-Perthes (LCP) se définit comme une nécrose partielle ou totale du noyau épiphysaire proximal du fémur. L'affection se déclare particulièrement dans la tranche d'âge entre deux et dix ans. Au-delà de cet âge, la maladie s'assimile aux nécroses idiopathiques de l'adulte dont l'évolution est plus péjorative. Elle est plus fréquente chez le garçon, le ratio étant de quatre garçons pour une fille. Sa fréquence varie également selon les ethnies et, en Europe, elle est en moyenne de 1 pour 2000 enfants. L'atteinte est bilatérale dans 10 à 12% des cas. Certaines études épidémiologiques suggèrent que la maladie est plus fréquente lorsque certains critères sont présents (tableau 1). L'étiologie de la maladie de LCP demeure obscure en dépit des nombreuses hypothèses. D'un point de vue pathogénique, la plupart des théories impliquent un trouble vasculaire dont la localisation siégerait au niveau des artérioles terminales de l'artère circonflexe postérieure. Des expérimentations plus récentes sont toutefois venues évoquer la possibilité d'une occlusion vasculaire veineuse, voire d'un trouble de la coagulation sanguine responsable d'une thrombose veineuse. Il est donc tout à fait possible que le processus physiopathologique ne soit pas unique et que plusieurs mécanismes puissent aboutir à une ischémie de l'épiphyse fémorale. La maladie va évoluer invariablement par quatre phases. La phase initiale de nécrose est caractérisée par un défaut de croissance du noyau d'ossification et par une augmentation de sa densité osseuse. Durant la phase de fragmentation de la tête fémorale, l'os nécrotique est résorbé, et des zones d'hyperdensité contrastent avec des zones d'hypodensité. Une réossification de la tête fémorale se produit ensuite durant la phase de reconstruction. Enfin, les capacités de remodelage et de croissance de la tête fémorale aboutiront à l'absence ou à la présence de déformation (phase de séquelles).

Histoire naturelle de l'affection

L'écueil principal auquel on est confronté lors de l'établissement de stratégies thérapeutiques chez les enfants atteints de maladie de Perthes tient à la pauvreté des données d'histoire naturelle de cette affection. En effet, peu d'études traitent de l'évolution spontanée de patients non traités et il est donc nécessaire d'extrapoler la probable histoire naturelle à partir d'enfants traités par des moyens actuellement considérés inefficaces. L'histoire naturelle de l'affection aboutit à un très large éventail de situations cliniques en fin de croissance allant de la restitution complète de la morphologie et de la fonction de la hanche à une détérioration articulaire et fonctionnelle désastreuse. Le pronostic est étroitement corrélé au degré de l'atteinte épiphysaire et à l'âge de l'enfant lors de la survenue de l'affection. Chez les enfants de moins de 6 ans, l'évolution de la maladie est rapide et la plupart des hanches évolueront favorablement sans aucun traitement. Ces patients récupéreront précocement des symptômes initiaux et auront peu, voire pas, de handicap durant leur vie. Au-delà de six ans, la maladie de LPC se caractérise par une évolution beaucoup plus longue, la reconstruction de la tête est plus lente et la tête est de ce fait plus à même de se déformer. La plupart de ces enfants gardent néanmoins une bonne fonction après la ou les deux premières années de symptômes initiaux. Ils maintiennent ensuite une fonction normale avec toutefois un inconfort occasionnel à travers la majorité de l'existence adulte, pour développer progressivement des douleurs durant la cinquième ou la sixième décennie et probablement nécessiter une prothèse totale de la hanche. Ce sont surtout les patients de plus de huit ans sévèrement atteints qui subiront une détérioration précoce de la hanche et qui développeront un handicap permanent. Toutes populations confondues, il est actuellement reconnu que 60% des hanches non traitées évoluent favorablement sans traitement. Dans les 40% de hanches restantes, le traitement est conseillé car on sait, aujourd'hui, que le traitement raccourcit et modifie positivement l'histoire naturelle de la maladie.


Présentation clinique

Le début des symptômes est insidieux et plusieurs mois peuvent souvent s'écouler avant que l'enfant ne soit présenté à un médecin. La douleur est d'installation progressive, localisée au niveau de la hanche, mais elle peut irradier au niveau de la cuisse ou même du genou. Elle est initialement mécanique et peut devenir ultérieurement permanente ; elle augmente avec l'effort physique et prédomine en fin de journée avec une boiterie d'esquive ou de Duchenne. A l'examen clinique, on note classiquement une limitation de la mobilité articulaire, qui peut être douloureuse dans les mouvements d'abduction et de rotation interne. Un retard de croissance staturale est fréquent (-1 DS à -2 DS). Habituellement, l'enfant présente une amyotrophie de la cuisse, du mollet, voire même de la musculature fessière. L'inégalité de longueur des membres inférieurs fréquemment constatée peut être fonctionnelle (contracture des adducteurs) ou anatomique (collapsus de la tête fémorale, trouble de croissance). On peut également noter une réduction de la taille du pied du côté atteint qui va se corriger spontanément avec la guérison de la maladie. Enfin, l'examen clinique devra rechercher d'éventuelles malformations associées telles que hernie inguinale, cryptorchidie ou anomalies urinaires.

Quel bilan faut-il réaliser ?

Depuis la découverte de la maladie de Perthes, l'imagerie médicale a fait de gros progrès et de nombreux moyens ont été utilisés pour diagnostiquer et essayer de comprendre cette affection. Chaque innovation technique en imagerie entraîne chez les chirurgiens orthopédiques un engouement parfois éphémère. La radiographie conventionnelle garde néanmoins encore une place prédominante dans le diagnostic initial et la surveillance de la maladie de Perthes. Les radiographies simples donnent d'excellentes informations, à condition d'être de bonne qualité avec une vraie incidence de face et un profil strict de Lauenstein. En dehors de l'aspect purement descriptif, la radiographie a un intérêt pronostique étant donné que la plupart des classifications (Salter, Catterall, Herring) qui permettent d'avoir une idée de la gravité de l'atteinte sont basées sur l'étude des clichés conventionnels. Durant la phase initiale de l'affection, la validité des signes radiographiques demeure limitée en raison de leur apparition tardive, généralement quelques semaines à quelques mois après la survenue de la nécrose. L'infarctus osseux peut n'avoir aucune traduction radiologique et la scintigraphie va jouer un rôle important pour établir le diagnostic en révélant un trou de fixation isotopique (figure 1). La scintigraphie sera particulièrement utile chez un enfant qui présente une hanche douloureuse avec une radiographie normale. Elle permet également de suivre l'évolution de l'affection en visualisant la revascularisation scintigraphique de la tête fémorale. Son indication demeure toutefois limitée, car l'examen est long et difficile dans sa réalisation, étant donné qu'il requiert fréquemment une sédation de l'enfant. Depuis quelques années, l'avènement de l'imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) a pris une place prépondérante dans le diagnostic et la prise en charge de cette affection. L'IRM permet d'apprécier les modifications de la moelle osseuse et les lésions classiques de la maladie au niveau de la chondroépiphyse et du cartilage conjugal (figure 2). Actuellement, on considère que l'IRM fournit les meilleurs indices de la maladie de Legg-Calvé-Perthes. Elle révèle la nécrose aussi précocement que la scintigraphie, elle donne une estimation de l'extension de la nécrose beaucoup plus précise que la radiographie conventionnelle et permet de suivre la guérison en montrant la revascularisation de la tête fémorale. Si la scintigraphie et l'IRM constituent indéniablement une aide au diagnostic et à l'évaluation de la sévérité de la maladie de Perthes, il apparaît toutefois impensable de les utiliser au quotidien pour le suivi régulier. Dans ce contexte, la radiographie conventionnelle retrouve toutes ses prérogatives par sa rapidité, sa simplicité et son faible coût.

Tête fémorale à risques : comment la reconnaître ?

L'ostéochondrite primitive de la hanche se caractérise par une évolution peu prévisible. De nombreux auteurs ont cherché à établir des facteurs pronostiques afin de dépister, le plus précocement possible, les hanches qui, laissées à elles-mêmes, évolueront irrémédiablement vers une détérioration articulaire précoce. C'est essentiellement dans ce groupe de hanches à «risques» qu'une prise en charge thérapeutique pourra, dans un certain nombre de situations, améliorer le pronostic final et accélérer la reprise fonctionnelle. Certains signes de la tête fémorale à «risques» relèvent de l'examen clinique alors que d'autres sont définis par l'imagerie médicale (tableau 2). De nombreuses classifications radiographiques ont été décrites pour évaluer la sévérité de la nécrose épiphysaire. Dans la classification de Catterall, quatre types d'atteinte sont définis en fonction du pourcentage de l'atteinte de la tête fémorale. Salter et Thompson ont décrit une classification simplifiée prenant en considération la taille de la fracture sous-chondrale (l 50% ou L 50% de la surface articulaire) (figure 3). Enfin Herring a proposé une classification radiographique prenant en considération la modification de la taille du pilier externe de la tête fémorale. Toutes les hanches qui présentent des signes de «tête à risque» radiographiques ou cliniques (tableau 2), ainsi que les hanches définies comme Catterall III-IV (atteinte de plus de 50% de la tête fémorale), Salter B (fracture sous-chondrale L 50% de la surface articulaire) et Herring C (effondrement de plus de 50% de la partie latérale de la tête fémorale) devraient être traitées.

Quelle prise en charge thérapeutique ?

La maladie de Perthes demeure un problème thérapeutique complexe car cette affection présente des expressions cliniques et des évolutions variables selon les tranches d'âge. Cela explique probablement l'absence d'attitude consensuelle dans la prise en charge thérapeutique. Les objectifs du traitement visent à diminuer la sévérité de la maladie et de ses séquelles, d'en modifier l'histoire naturelle et si possible d'en raccourcir l'évolution. Le traitement de la maladie de LCP gravite autour de trois concepts. Le premier concept est de restaurer la mobilité articulaire de la hanche. Toute hanche raide devra par conséquent être assouplie car la persistance d'une raideur articulaire est de mauvais pronostic. La mise au repos de la hanche, la traction du membre atteint et la prescription de myorelaxants viseront à faire céder la contracture présente au niveau de la musculature péri-articulaire. Le travail en piscine et les séances de physiothérapie à sec permettront de maintenir les amplitudes fonctionnelles acquises, notamment en abduction et en rotation interne. Une fois la mobilité de la hanche restaurée, le second concept du traitement sera de maintenir la tête fémorale dans le cotyle. La qualité de l'«emboîtement» de la tête fémorale dans le cotyle va conditionner la forme finale de la tête fémorale, le moule cotyloïdien détenant la sphéricité céphalique. En cas de subluxation de la hanche, le recentrage de la tête fémorale pourra être notablement amélioré par la réalisation soit d'une ostéotomie de varisation du fémur proximal, soit d'une ostéotomie pelvienne, soit des deux simultanément. Les interventions chirurgicales de recentrage sont indiquées dans les formes vues précocement quand la tête fémorale n'est pas trop déformée, et surtout quand la hanche se recentre soit en abduction-rotation interne (OT fémorales), soit en abduction-flexion (OT pelvienne). Dans quelques rares cas spécifiques (jeunes enfants incontrôlables), les attelles d'abduction sont encore d'actualité pour diminuer les contraintes mécaniques sur la tête fémorale et pour la recentrer. Enfin, le troisième concept du traitement sera d'obtenir la meilleure congruence possible entre la tête fémorale et le cotyle en fin d'évolution de l'affection. Lorsque la tête fémorale est déformée, la congruence articulaire pourra être améliorée par des interventions de sauvetage. L'ostéotomie de valgisation du fémur visera à optimiser le «contact» entre la tête fémorale et le cotyle. La réalisation d'une butée acétabulaire tendra à augmenter la surface d'appui entre la tête fémorale et le cotyle. Lorsqu'une tête fémorale passablement déformée bute en abduction sur le bord externe du cotyle, une résection a minima de la partie protrusive de la tête (cheilectomie) pourra faire disparaître le conflit mécanique. Les têtes fémorales fortement déformées avec une incongruence articulaire évolueront inexorablement vers une coxarthrose précoce avant 40 ans et motiveront une arthroplastie de hanche.


Conclusion

En l'état actuel des connaissances et de leurs limites, notre attitude face à cette affection doit être logique et cohérente. Elle doit être logique car, dans le doute, il faudra chercher à poser le plus tôt possible le diagnostic de la maladie de Legg-Calvé-Perthes et à en apprécier sa sévérité. Notre attitude doit également être cohérente en ce qui concerne la prise en charge thérapeutique. Le traitement ne devra, de ce fait, être proposé que lorsque l'on sait que celui-ci est en mesure de raccourcir et de modifier positivement l'histoire naturelle de la maladie.