Introduction

L'ostéoporose est principalement une maladie liée au vieillissement. Elle reste le plus souvent une maladie silencieuse et non détectée jusqu'à la survenue d'une fracture vertébrale ou d'une fracture de hanche.
Afin d'améliorer le dépistage et le traitement de cette affection, en particulier chez le sujet d'âge gériatrique, nous proposons de revoir, à partir de deux cas cliniques, le diagnostic, le traitement et surtout la prévention de l'ostéoporose chez le sujet âgé.

Cas no 1. A propos de l'anamnèse et du diagnostic

Mme H. E., patiente de 76 ans, hospi talisée pour des dorsalgies basses, en augmentation progressive de puis dix jours, après avoir ressenti une douleur aiguë dans cette région, en tondant sa pelouse (en changeant le bac de récolte). 


Antécédents

I Mère de cinq enfants.
I St. post-app ; dysfonction thyroïdienne vers l'âge de 25 ans.
I Vers 40 ans : hémicolectomie, hystérectomie et annexectomie unilatérale pour adhérences.
I HTA traitée depuis deux ans.
AF : mère ayant présenté des dorsalgies pendant sa vieillesse.
Habitudes : pas d'alcool, pas de tabac, pas d'allergie. Médicament : Cibacen®10 mg/j. 


Status

I Excellent état général.
I Accentuation cyphose dorsale.
I Percussion douloureuse du rachis dorsal et lombaire haut.
I Système neurologique normal. 


Examens complémentaires

I Laboratoire : hémogramme, chimie, calcium, phosphatase alcaline dans les normes.
I RX : ­ colonne dorsale : tassement corporal cunéiforme antérieur D12. Ancien tassement D7. Déminéralisation osseuse diffuse.
colonne lombaire : pas de tassement. 


Diagnostic

I Fracture-tassement D12. Ostéoporose. 


Traitement

I Antalgique : paracétamol et calcitonine ; Vi-de 3 : 8 gttes/j ; calcium 1,5 g/j.
I Physiothérapie de mobilisation selon douleurs.
I Evolution favorable ­ deux semaines d'hospitalisation ­ indépendante à la sortie. 


Quelle importance attribuer à la détection des facteurs de risque de l'ostéoporose ?

Les facteurs de risque pour l'ostéoporose sont bien documentés : âge supérieur à 65 ans, status postménopausique non substitué d'autant plus si ménopause précoce ou chirurgicale, aménorrhée prolongée, antécédents personnels ou familiaux de fracture, corticothérapie au long cours, affections prédisposant à l'ostéoporose (maladies digestives avec malabsorption, hyperparathyroïdie, hyperthyroïdie, maladies inflammatoires chroniques), corpulence faible, race caucasienne ou asiatique.1-5
Malheureusement, ces facteurs de risque sont de mauvais indicateurs d'un abaissement de la densité minérale osseuse ou du risque de fracture. Il convient dès lors d'identifier les facteurs de risque modifiables,6 comme la consommation d'alcool et de tabac, l'excès de café, une alimentation pauvre en produits laitiers, l'absence d'exercice physique et la prise de médicaments (cortisone, hormones thyroïdiennes, anticonvulsivants, héparine au long cours ou anticoagulation orale).7-9 


Quels examens complémentaires ?

L'absence de facteurs de risque ne permet en aucun cas d'exclure une ostéoporose, de même que leur présence ne permet pas d'affirmer une diminution de la densité minérale osseuse (DMO). Ainsi, la quantification de la DMO reste le meilleur prédicteur du risque de fracture, tout comme la pression sanguine dans l'aide à l'estimation du risque d'accident vasculaire cérébral ; d'autre part, la DMO est certainement un meilleur indicateur du risque d'ostéoporose que le taux de cholestérol dans la prédiction du risque d'infarctus myocardique.3,6,10
L'absorptiométrie osseuse biphotonique à rayons X (DEXA) est devenue la méthode de référence pour mesurer la DMO.
L'ostéoporose est définie par une DMO inférieure à moins 2,5 écarts types par rapport à une population de référence constituée d'adultes jeunes et en bonne santé (T-score ).4,10,11,12
Le dosage des marqueurs sanguins de formation et de résorption osseuse permet de déterminer l'intensité du remodelage osseux (avec une prépondérance de la résorption sur la formation chez la femme ménopausée). La combinaison des résultats de la densité minérale osseuse et des marqueurs biochimiques du remodelage osseux évalue au mieux, d'un point de vue théorique, le risque de fracture ostéoporotique. En effet, pour une valeur de densité minérale osseuse de surface donnée, un haut niveau de remodelage osseux, évalué par les marqueurs biochimiques, est associé à une augmentation du risque fracturaire. Cependant, d'un point de vue pratique, ces marqueurs ont une grande variabilité individuelle, avec une grande dispersion des résultats. Ainsi, l'évaluation actuelle du remodelage osseux se fait essentiellement par la mesure de la déoxypyridoline urinaire (marqueur de la résorption) et de l'ostéocalcine sérique (marqueur de la formation). De plus, le dosage des marqueurs de résorption permet de contrôler l'efficacité d'un traitement ; une diminution de 30 à 50% de la déoxypyridoline rapportée à la créatinine est attendue après trois mois de traitement avec l'alendronate.3,11,13,14 


Quel diagnostic différentiel ?

Il faut se souvenir que plusieurs affections autres que l'ostéoporose peuvent aussi se manifester par une fracture ou une densité osseuse basse ; il convient d'exclure un hyperparathyroïdisme primaire (dosage du calcium), un myélome multiple (électrophorèse des protéines), une maladie de Paget (phosphatase alcaline), une ostéomalacie (phosphatase alcaline, 25(OH)D), une hyperthyroïdie (TSH, T4 libre), un hypogonadisme chez l'homme (testostérone, prolactine).


Cas no 2. A propos des fractures de hanche et du traitement de l'ostéoporose

Mme C. G., patiente de 88 ans, qui glisse et chute sur la hanche droite. Hospitalisation, avec mise en pla ce d'un clou gamma pour fracture pertrochantérienne D. 


Antécédents

I Jamais hospitalisée ; mère d'une fille.
I HTA traitée depuis deux ans.
I Vit depuis deux ans dans un home en raison de l'isolement social de son habitat (hameau de montagne).
Habitudes : pas d'alcool, pas de tabac.
Médicaments : Aldactone ®25 mg/j. 


Status d'entrée

I Bon état général ; MMS 28/30.
I Status e.o., sauf rotation externe fixée du MID.


Examens complémentaires

I Labo : hémogramme et chimie sans particularités.
I RX : fracture pertrochantérienne D et ostéopénie. 


Traitement et évolution

Séjour de trois semaines en chirurgie (compliqué d'une embolie pulmonaire), puis de quatre mois en gériatrie avant le retour au home. Rééducation rendue fort difficile par la survenue de nombreux épisodes confusionnels. Marche avec un cadre, à la sortie.


Traitement à la sortie

I Calcium : 1 g/j.
I Vi-de 3 : 8 gttes/j.
I Aldactone ® : 25 mg/j.
I Haldol ® : 1 mg/j.
I Mellerettes ® : 15 mg/j.
I Sintrom®


Catamnèse à trois ans

I Marche sans canne ; indépendante ; MMS 28/30. 


La fracture de hanche du vieillard : une réelle catastrophe ?

L'incidence des fractures de hanche augmente avec l'âge de façon exponentielle, de telle sorte que 90% d'entre elles surviennent après l'âge de 70 ans.15
La survenue d'une fracture de hanche con-duit à une réduction d'environ 15 à 25% de l'espérance de vie ; ainsi, la probabilité pour une femme de 50 ans de mourir d'une fracture de hanche égale le risque de mourir d'un cancer du sein.15,16
Le devenir après une fracture de hanche est très préoccupant chez le sujet âgé. Sur cent personnes touchées, trente vont guérir complètement dans l'année suivante, trente autres vont mourir avant la fin de la première année. Les quarante autres seront institutionnalisées, la moitié d'entre elles avec de graves handicaps.10 


Quels facteurs de prévention ?

A un âge avancé, la prévention de la fracture passe avant tout par la prévention de la chute. La consolidation de la mas-se osseuse a une importance moindre.
Le ralentissement de l'information des circuits sensoriels périphériques aux centres nerveux, avertissant par exemple d'une perte d'équilibre, conduit à un retard de correction posturale, avec un risque majeur de chute et un risque augmenté de fracture de hanche. Après 70 ans, le ralentissement dans la vitesse d'exécution des mouvements amène par exemple à l'absence d'extension des avant-bras en guise de protection lors d'une chute, modifiant de la sorte le paysage fracturaire, l'incidence des fractures de l'avant-bras diminuant fortement au détriment de celles de la hanche. Une chute de sa propre hauteur, sans réaction de protection, génère une énergie deux à trois fois supérieure à celle nécessaire pour fracturer la hanche chez les gens âgés de plus de 65 ans.15,17
Avec l'âge, la chute devient donc un des composants majeurs de la fracture de hanche. La fragilité ou la faiblesse («frailty») des sujets devient plus fréquente avec l'augmentation de la longévité ; c'est dans ce groupe de vieillards (en particulier chez les sujets déments institutionnalisés) qu'on trouvera ceux qui ont le plus grand risque de chute.16 


Entraînement physique ?

La prévention des chutes s'appuiera sur des programmes d'activité physique6 entraînant la coordination, l'équilibre et la for-ce musculaire. La capacité de changement de direction et de balancement latéral d'un pied sur l'autre, la vitesse de marche sont des indices prédictifs de chute chez le sujet âgé. Lutter contre l'atrophie («sarcopénie») et la faiblesse musculaire par des activités entraînant la force et l'endurance deux à trois fois par semaine devrait être un objectif réaliste et raisonnable.18
En outre, l'incapacité de nombreux vieil-lards, souffrant de cyphose plus ou moins marquée, à maintenir une posture droite pendant leurs activités quotidiennes, aboutit à des trou-bles de l'équilibre et de la marche. Des exercices de renforcement de la musculature d'extension du dos (avec parfois des moyens auxiliaires de marche) sont extrêmement utiles pour lutter contre cette posture et ses inconvénients.19
Diminuer les fractures de hanche lors de chute par une protection passive du trochanter (coquilles de protection glissées sous les vêtements) semble possible (diminution du risque relatif de fracture de 0,44), mais des études plus longues sont nécessaires pour surtout évaluer la compliance.20 


Apport en vitamine D ?

Une carence en vitamine D est fréquente dans la population âgée, en particulier institutionnalisée, principalement en raison de carence alimentaire (œufs et poissons), du vieillissement de la peau et de la diminution de l'exposition au soleil (diminution de la synthèse de 25(OH)D), de la diminution de l'activité de l'enzyme 1 alpha-OH rénale (diminution de la synthèse de la 1,25(OH)D).
Or, la carence en vitamine D entraîne non seulement une augmentation de la fragilité osseuse par défaut de minéralisation, mais encore un hyperparathyroïdisme secondaire par diminution de l'absorption de calcium, ce qui va stimuler la résorption osseuse.21,22
Une probable résistance du récepteur à la vitamine D, peut-être influencée par la carence en œstrogène de la ménopause, a également été décrite.17
Des études françaises et américaines23,24 ont démontré qu'un apport supplémentaire en vitamine D réduisait de façon significative l'incidence de fracture de hanche dans une population âgée de plus de 65 ans.
Récemment, Stern et coll.25 ont également mis en évidence une relation entre des taux de vitamine D abaissés et de parathormone élevés chez des patients chuteurs résidant soit dans des homes, soit dans des foyers.17,25
Des conclusions similaires sont retrouvées en comparant un collectif de femmes postménopausées avec une fracture de hanche et un groupe contrôle devant subir une opération élective de la hanche.26
La correction de la carence en vitamine D paraît donc fondamentale chez le sujet âgé. Non seulement la carence en vitamine D est nuisible pour le squelette, mais elle agit probablement de façon délétère sur la force musculaire, induisant une faiblesse musculaire proximale, en particulier au niveau des ceintures, ce qui facilite la chute.10
Dès 70 ans, un apport oral supplémentaire en vitamine D est recommandé. La plupart des auteurs s'accordent à proposer 800 U/j, associés à la prise de 1,5 g de calcium.1,6,10,27 


Suppléments protéiniques ?

La prévalence de la malnutrition protéino-énergétique est fréquente avec l'âge, particulièrement chez le sujet institutionnalisé ou hospitalisé pour une longue période.28 Or, on sait qu'une carence en protéine entraîne la diminution du taux d'IGF 1 circulant, dont la synthèse diminue déjà avec l'âge, amenant une action défavorable sur le squelette, l'anabolisme musculaire et le système immunitaire.22,29,30 Schürch et coll.30ont pu montrer qu'un supplément protéinique (20 g/j) pendant six mois après une fracture de hanche permettait de diminuer la perte osseuse et la durée du séjour hospitalier en rééducation d'environ dix jours. 


Traitement pharmacologique de l'ostéoporose 



Traitement hormonal ?

Dès la ménopause, la résorption osseuse est d'environ 3 à 7% par année pendant à peu près sept ans, puis d'environ 1 à 2% par année.6
Les œstrogènes diminuent le turn-over osseux et réduisent la perte osseuse. Il paraît ainsi logique de recommander une substitution hormonale pendant cinq à dix ans après la ménopause.31 De plus, le gain sur la densité osseuse d'une œstrogénothérapie semble être d'autant plus important que la densité minérale osseuse initiale est basse, ou qu'il n'y a jamais eu de substitution.16
La durée de la substitution n'est pas définie avec précision, l'efficacité des œstrogènes persistant bien au-delà de la période postménopausique.6,31 Une substitution, avec des doses probablement réduites, peut être introduite chez les sujets les plus âgés.32,33
En plus du gain osseux, on gardera à l'esprit les autres effets bénéfiques d'une substitution hormonale chez le vieillard, en particulier en termes de protection cardiovasculaire, de probable préservation des facultés cognitives, de protection (quoique non prouvée ) contre la maladie d'Alzheimer et le cancer du côlon.1,32,34,35 


Les SERM ?

Les SERM ou modulateurs sélectifs des récepteurs aux œstrogènes ont une action agoniste œoestrogénique sur l'os et sur le métabolisme lipidique, et une action antiœ-oestrogénique sur le cancer du sein.
Le raloxifène n'a, de plus, aucun effet délétère sur l'utérus et ne présente ainsi pas de risque de cancer de l'endomètre au contraire du tamoxifène.1,6,36 Le raloxifène est le seul SERM approuvé aux Etats-Unis pour la prévention (et non pour le traitement) de l'ostéoporose chez la femme postménopausique.10 Les SERM pourraient être une bonne alternative à la substitution œstrogénique, en cas de contre-indication de celle-ci ; malheureusement, ils n'ont pas d'effet sur certains symptômes climatériques tels que les bouffées de chaleur.10,36 


Les bisphosphonates ?

Ils inhibent l'action des ostéoclastes, et par conséquent la résorption osseuse. L'alendronate est la seule molécule reconnue par la FDA pour le traitement et la prévention de l'ostéoporose chez la femme ménopausée. L'efficacité de ce médicament en termes de gain de masse osseuse a été largement documentée aussi bien sur le squelette trabéculaire que cortical et sur la prévention des fractures (Libermann, Black, Cummings). Elle constitue une alternative au traitement hormonal, avec des effets osseux plus marqués, mais sans les effets bénéfiques généraux de la substitution œstrogénique.1,6,10 


Conclusion

Chez le sujet âgé à risque d'ostéoporose, un supplément en vitamine D et calcium, une activité physique régulière semblent être les mesures préventives fondamentales. La prévention de la chute ne doit pas être négligée, un traitement médicamenteux efficace, comme les œstrogènes ou les bisphosphonates, ne permettra pas à lui seul de prévenir la fracture du sujet âgé. Dans cette population, et encore plus chez le sujet fragilisé, la prévention doit être globale, le but étant non seulement de prévenir les fractures, mais également de maintenir la mobilité et d'améliorer la qualité de vie.10,37 W