Syndromes vertigineux en pratique ambulatoire
Résumé
Les symptômes vertigineux sont des motifs fréquents de consultations chez les médecins de premier recours. Ces derniers, sans moyen diagnostique autre que l’anamnèse et l’examen clinique souvent long et fastidieux à réaliser, doivent rechercher l’origine de ces symptômes et faire la différence entre une pathologie bénigne périphérique et une centrale potentiellement fatale pour le patient. Une bonne connaissance des particularités anamnestiques, cliniques et des manœuvres diagnostiques des principaux types de vertiges permet, dans près de deux tiers des cas, de discriminer leur origine. En cas de doute sur l’étiologie du vertige ou de suspicion d’une origine centrale, le patient doit être référé en urgence à un neurologue qui va pratiquer des examens complémentaires comprenant une imagerie cérébrale.
Introduction
Le système vestibulaire a pour fonction d’assurer le maintien d’une image stable sur la rétine lors des mouvements du corps, de la tête et des objets. Il est aussi responsable du maintien de l’équilibre postural et de la perception de la position du corps dans l’espace. C’est un système sensoriel complexe dans lequel interviennent les afférences vestibulaires, visuelles et proprioceptives. La réponse du système vestibulaire aux stimuli consiste en l’exécution de mouvements correcteurs automatiques du corps et des yeux. Le fonctionnement adéquat et harmonieux du système vestibulaire implique l’intégrité des voies sensorielles et motrices ainsi que des centres de contrôle. Une atteinte de ces systèmes se traduit par un déséquilibre du système et l’apparition d’un vertige.
Cliniquement, on distingue les pathologies périphériques, liées à une lésion du labyrinthe ou du nerf vestibulaire, et les pathologies centrales secondaires à une atteinte des noyaux vestibulaires, du tronc cérébral ou du cervelet. Toute la difficulté est de définir avec des moyens simples s’il s’agit d’une affection banale, très souvent périphérique, ou potentiellement grave, la plupart du temps centrale. La présence d’un signe de gravité (ou drapeau rouge) doit faire suspecter une origine centrale (tableau 1) et un avis spécialisé est alors indiqué.1
Il existe un ensemble de symptômes se rapprochant du vertige, mais dont l’origine est différente d’un trouble du système vestibulaire. Ces symptômes sont regroupés sous une même entité et appelés sensation vertigineuse. Les consultations pour la survenue de symptômes vertigineux sont fréquentes en médecine de premier recours. On estime la prévalence dans la population de 18 à 64 ans à 20-30%,2 et près de 70% des personnes consultent un médecin de premier recours durant cette période.3,4 Cet article fait le point sur les causes, les investigations et le traitement de cette plainte fréquente.
Définition et classification
Sensation vertigineuse
La sensation vertigineuse, symptôme mal défini regroupant plusieurs identités, peut être classée en trois types selon leur signification clinique (tableau 2).
La présyncope est une sensation de perte de conscience imminente, souvent accompagnée de sueur et de nausées. Le déséquilibre est une sensation d’ébriété, d’instabilité posturale, voire décrite comme « quand je regarde le plafond, c’est moi qui tourne » et l’étourdissement comprend de nombreux symptômes vagues, de la perte momentanée de sensibilité et d’équilibre à la perte de connaissance.
Vertige
Parmi toute la symptomatologie vertigineuse, le vertige représente environ 30% des cas dans la population générale et plus de 50% dans la population âgée.5-7
Le vertige traduit un dysfonctionnement du système vestibulaire dont l’origine peut être périphérique ou centrale (tableau 3). C’est un trouble de la perception de l’espace avec illusion de mouvement, perçu comme externe, « quand je regarde le plafond, c’est lui qui tourne, pas moi ». Le sens du mouvement est le plus souvent rotatoire, « comme en carrousel », mais peut aussi être linéaire, « comme sur un bateau » avec sensation de roulis. Il peut encore être ressenti « comme si le sol était instable » avec impression de chute imminente.
En pratique ambulatoire, les trois causes les plus fréquentes, représentant près de 90% des cas, sont le vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB), principalement lié à une affection du canal semi-circulaire postérieur, la névrite vestibulaire (déficit vestibulaire unilatéral brusque idiopathique) et la maladie de Ménière.8,9
Nystagmus
Le nystagmus physiologique ou pathologique est un mouvement saccadé et rythmé des globes oculaires, composé d’une phase lente dans une direction, suivi d’un retour rapide dans le sens opposé.10 Par convention, les nystagmus sont décrits en fonction de la direction de la phase rapide. Le nystagmus physiologique est provoqué par la rotation de la tête ou le défilement d’une image sur la rétine comme lorsqu’on regarde le paysage défiler depuis un train en marche. Le nystagmus spontané accompagne une lésion aiguë du système vestibulaire périphérique ou central. Lors de lésion périphérique, le nystagmus bat généralement (phase rapide) du côté sain et est diminué ou aboli par la fixation visuelle. Cependant, lors d’une crise de Ménière, selon la phase de la crise, on peut observer un nystagmus spontané battant du côté malade (oreille sourde) ou du côté sain, comme dans un déficit vestibulaire classique. Lors d’une atteinte centrale, le nystagmus n’est pas aboli par la fixation du regard.
Diagnostic (figure 1)
Les vertiges peuvent se présenter d’une manière spécifique et évoquer d’emblée une pathologie précise centrale ou périphérique (tableaux 4 et 5) mais bien souvent les symptômes se chevauchent et le diagnostic devient difficile à poser. Une anamnèse précise et un examen otoneurologique complet sont donc indiqués chez tous les patients qui se plaignent de vertiges.
Anamnèse
L’anamnèse permet parfois de différencier l’origine du vertige en précisant sa durée (secondes, minutes, heures, jours), les circonstances de son apparition, sa cinétique (aigu, latent, progressif, épisode unique, récidivant ou permanent), sa fréquence, ainsi que sa sévérité. L’histoire récente d’une infection des voies respiratoires supérieures ou ORL et la présence d’un traumatisme crânien mineur (choc de la tête contre un meuble) parlent en faveur d’une origine périphérique (« décrochement » d’une cupulolithiase). Une histoire familiale positive peut évoquer une maladie de Ménière ou une migraine. La consommation de médicaments ototoxiques est également à investiguer car elle est parfois une cause de vertige oubliée (tableau 6).
Une anamnèse relevant des facteurs de risques ou des plaintes cardiovasculaires, des symptômes neurologiques tels que diplopie, dysarthrie, dysphagie, troubles sensitifs, troubles moteurs, ataxie, céphalées, atteinte des nerfs crâniens, est évocatrice d’un vertige d’origine centrale.
Examen
L’examen otoneurologique11 comprend un examen ORL et un examen neurologique et permet de préciser l’origine du vertige. Il arrive parfois que cet examen ne soit pas contributif ou que les signes observés ne correspondent pas à l’impression clinique faite lors de l’anamnèse. Un avis spécialisé est alors indiqué.
La découverte d’une pathologie locale à l’otoscope comme une otite moyenne aiguë, un cholestéatome, un hématotympan ou une otorragie suggère fortement une cause périphérique du vertige. Une baisse de l’audition révélée par une acoumétrie phonique (voix chuchotée, parlée) ou au diapason (Weber, Rinné) peut encore évoquer une pathologie périphérique, dont le neurinome de l’acoustique, diagnostic rare mais souvent discuté.
Un examen neurologique doit être effectué à la recherche d’un trouble de l’état de vigilance, d’une pathologie des nerfs crâniens, de signes pyramidaux, extrapyramidaux ou sensitifs qui sont tous évocateurs d’une pathologie centrale.
Il comprend aussi les épreuves cérébelleuses et l’examen du réflexe vestibulo-spinal (Mingazzini, Romberg, Unter-berger, test de la marche aveugle). Une déviation des membres ou une chute lors de ces épreuves est pathologique, mais ne permet pas de discriminer l’origine centrale ou périphérique de l’atteinte vestibulaire.
L’examen du réflexe vestibulo-oculaire et des voies visuo-oculaires est une phase clé de l’examen du patient vertigineux. Il est recommandé, dans la mesure du possible, d’utiliser des lunettes de Frenzel (lentilles grossissantes de 20 dioptries) durant la réalisation de ces tests. Il faut rechercher un nystagmus spontané dans le regard centré et excentré entre 20° et 30° et lors de la poursuite oculaire. La fixation visuelle, par exemple la fixation du pouce avec bras tendu, diminue le nystagmus d’origine vestibulaire périphérique, contrairement au vertige d’origine centrale. L’existence d’un nystagmus de position lors de la manœuvre de Hallpike indique un VPPB (figure 2). Le Head Impulse test12 (= head trust) contribue aussi à la différenciation d’une origine périphérique et centrale (figure 3).
Prise en charge, traitement et évolution
Nonante pour cent des patients souffrant de vertige aigu sont pris en charge par leur médecin de premier recours.13Cependant, toute suspicion de vertige d’origine centrale ou toute situation dont le diagnostic n’est pas clairement un trouble du système vestibulaire périphérique doit être référée à un neurologue en urgence (tableau 7).
Vertige positionnel paroxystique bénin
Le VPPB est la forme la plus fréquente de vertige périphérique. Cette pathologie peut survenir après un traumatisme cranio-cérébral mineur, une affection virale, une névrite vestibulaire, ou être secondaire à la prise de médicament, voire liée à une maladie de Ménière. L’origine reste idiopathique dans plus de 50% des cas.
Les manœuvres libératrices de Semont (figure 4) et d’Epley sont les traitements de choix pour tout patient souffrant d’un VPPB, y compris les personnes âgées qui en bénéficient particulièrement en raison des risques de chutes consécutives au vertige. Elles peuvent être effectuées deux à trois fois en cas de persistance des symptômes avec un délai de cinq à sept jours entre chaque manœuvre, avant de reconsidérer le diagnostic et de demander l’avis d’un spécialiste. Il est recommandé, après les manœuvres, d’attendre une demi-heure avant de quitter le cabinet et de ne pas conduire. Généralement, le pronostic est bon avec disparition des vertiges chez 30% à 60% des patients en quelques semaines à quelques mois. Les manœuvres libératrices effectuées par un médecin de premier recours permettent de faire disparaître, à court et moyen terme, les symptômes dans 70%-90% des cas. Cependant, une récidive est possible dans près de 50% des situations durant les semaines à années suivantes.14 En principe les antiémétiques-antivertigineux ne sont pas recommandés.
Névrite vestibulaire
La névrite vestibulaire survient en général dans le cadre d’une infection virale avec atteinte de la portion vestibulaire de la 8e paire crânienne.
Les antiémétiques-antivertigineux peuvent être utiles durant les 24-48 premières heures, par exemple thiéthylpérazine 6,5 mg (Torécan) per os ou rectal selon la clinique, 1-3 x/jour. Au-delà, le traitement semble interférer avec la compensation cérébrale du déficit vestibulaire. Une réadaptation vestibulaire par physiothérapie, après la phase aiguë, peut également être bénéfique. Parfois un alitement, voire une hospitalisation, est indispensable les 24-48 premières heures selon l’état vertigineux et le degré de nausée et vomissement.
Généralement, les symptômes diminuent ou disparaissent en quelques jours par compensation centrale. Cependant 20-30% des patients présentent une récidive de vertige mais habituellement moins sévère que la première,10 et 10% d’entre eux développent un VPPB après un déficit vestibulaire brusque.10
Maladie de Ménière
La maladie de Ménière est associée à une dilatation du labyrinthe membraneux (hydrops endolymphatique) dont l’origine reste inconnue. Les critères diagnostiques comprennent deux épisodes de vertige d’au moins 20 minutes chacun, une hypoacousie confirmée par un examen audiométrique et la présence d’acouphènes. L’évolution se fait par crises récurrentes et une surdité de perception progressive unilatérale s’installe touchant d’abord les basses fréquences.
Ce diagnostic doit être confirmé par un médecin ORL qui gère habituellement le traitement dont les options sont les suivantes : une adaptation du mode de vie (restriction de sel, diminution de la consommation de café, nicotine, alcool), un traitement médicamenteux (diurétiques, antiémétiques, anxiolytiques, immunomodulateurs, antihistaminiques et antibiotiques ototoxiques) et un traitement chirurgical par section du nerf vestibulaire.
Conclusion
Une anamnèse détaillée et un examen otoneurologique comprenant des manœuvres diagnostiques (manœuvre de Hallpike, Head impulse test) permettent dans la plupart des cas de définir l’origine du vertige.
Comme la grande majorité des pathologies provoquant un vertige sont principalement d’origine périphérique, les médecins de premier recours sont à même de prendre en charge la plupart des patients vertigineux. Cependant, en cas de doute diagnostique ou de suspicion de pathologie centrale, le médecin praticien devrait adresser son patient dans un centre spécialisé afin d’effectuer des examens complémentaires.
Implications pratiques
> En médecine de premier recours, la grande majorité des vertiges sont d’origine périphérique, sans gravité
> Les éléments cliniques en faveur d’une origine centrale sont : des céphalées, une anomalie de l’examen neurologique, la présence d’un nystagmus non diminué par la fixation visuelle
> En cas de doute, le Head impulse test permet parfois de faire la différence entre une origine centrale et périphérique
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- ↑ • Réalisation du Head impulse test. Test est normal.Vidéo :
- ↑ • Réalisation du Head impulse test. Test est pathologique.Vidéo :
- ↑ • Réalisation d’une manœuvre d’HalIpikeVidéo :
- ↑ • Réalisation d’une manœuvre de SemontVidéo :
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