Introduction

Evaluer est une activité constante de toute pratique médicale. Chaque médecin définit des objectifs de traitement. Ce traitement est optimisé et personnalisé en fonction d'une évaluation de la problématique et de son évolution. L'évaluation clinique n'est qu'une facette, mais importante de cette évaluation globale.
L'évaluation clinique peut être plus ou moins systématisée et standardisée, mais elle doit rester, pour avoir un sens en pratique quotidienne, réalisable dans les limites d'une consultation normale et ne pas nécessiter d'instruments particuliers. Son résultat doit aussi influencer notre pratique si l'on veut que le geste ne s'apparente pas à un exercice de style.
Lorsqu'on parle d'évaluation clinique d'une maladie comme la polyarthrite rhumatoïde (PR), quelques remarques préliminaires s'imposent. La première remarque concerne les outils d'évaluation. Il y a bien sûr l'anamnèse et l'examen clinique, à nouveau plus ou moins standardisés, mais il est surtout important de ne pas sous-évaluer le bénéfice des questionnaires d'auto-évaluation remplis par les patients, questionnaires souvent très pertinents pour le patient. Finalement, il s'agit aussi d'une maladie chronique et il est important d'évaluer les différentes facettes de cette maladie. Bien sûr, l'évaluation de l'activité de la maladie est essentielle. Elle va grandement influencer notre attitude thérapeutique immédiate, c'est-à-dire le traitement de fond prescrit. Néanmoins, il ne faut pas oublier que cette maladie a aussi des conséquences structurelles et fonctionnelles plus ou moins réversibles avec un handicap secondaire. Pour le patient, il est tout aussi essentiel d'évaluer cette facette de la maladie afin d'améliorer ou de remédier à ces séquelles par une prescription appropriée.

Évaluation de l'activité de la maladie

De prime abord, évaluer cliniquement l'activité d'une PR paraît simple. L'évaluation se base principalement sur la présence d'articulations tuméfiées ou douloureuses à la palpation. Néanmoins, faut-il recommander une évaluation exhaustive de toutes les articulations, ou un examen évaluant moins d'articulations, mais plus facile à utiliser en pratique quotidienne, est-il suffisant ?
En pratique, un examen limité à 28 articulations douloureuses et tuméfiées (figure 1) semble raisonnable. Ce compromis entre nombre d'articulations et temps nécessaire, mais également meilleure précision et reproductibilité, paraît tout à fait acceptable. Associé à la vitesse de sédimentation, cet examen sert de base au calcul du DAS28 (Disease Activity Index 28), un indice défini sous les auspices de la ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) (tableau 1).1 Le DAS28 est donc un indice composite d'activité de la PR combinant de multiples paramètres en une mesure unique d'interprétation standardisée et qui est bien corrélé avec la sévérité de l'activité. Il est couramment utilisé dans les études cliniques, mais surtout sa simplicité en fait un outil d'évaluation extrêmement utile et facile à appliquer en pratique quotidienne. Il reflète en une valeur unique l'activité de la maladie à un moment donné ; il donne une sorte d'«instantané» de la maladie. Les valeurs seuils sont M 5,1 pour une activité forte, de 5,1 à 3,2 pour une activité moyenne et m 3,2 pour une activité faible, le seuil de rémission ayant été défini comme une valeur m 2,6.
L'utilisation de tels indices a bien sûr des avantages et des inconvénients. Scientifiquement, le DAS28 permet une meilleure comparabilité des résultats et donne une puissance supérieure aux essais cliniques. Pratiquement, le calcul paraît initialement complexe, problème grandement facilité par la disponibilité de calculettes dédiées spécifiquement à cette tâche ou de feuilles de calcul Excel (tableau 1). Le DAS28 peut «scotomiser» certaines atteintes, comme un problème persistant des pieds, puisque le DAS28 n'en tient pas compte. Il peut également être augmenté de manière inappropriée chez des patientes souffrant de fibromyalgie concomitante avec souvent 28 articulations toujours douloureuses.2 Ces problèmes sont facilement réglés si on est conscient de ces quelques limitations.
Le calcul du DAS28 sert aussi de base à la définition des critères de réponses de l'EULAR pour les études cliniques. On peut ainsi définir une réponse de type «bonne», «modérée» ou «nulle» en fonction des modifications de l'indice après traitement, mais également de la valeur finale du DAS28. Un «bon» répondeur aura donc, par définition, une activité finale faible (m 3,2) et une chute de l'activité de sa maladie d'au moins 1,2 point. Ces critères de réponses ont pas ou peu d'intérêt en pratique quotidienne. Leur connaissance reste toutefois essentielle à une interprétation éclairée de la littérature. En cabinet, c'est la valeur absolue du DAS28 qui est utile, puisque selon les nouveaux paradigmes de traitement de la PR, on recherche, dans la mesure du possible, une rémission clinique (c'est-à-dire un DAS28 m 2,6) chez tout patient.
Une étude clé publiée tout récemment, l'étude TICORA, nous incite à utiliser systématiquement le DAS28.3 Elle démontre que son utilisation rigoureuse améliore la prise en charge des PR. En bref, 110 patients ont été randomisés dans deux groupes en simple aveugle. Les deux groupes ont bénéficié de traitements de fond standards, mais dans un cas la décision d'intensifier le traitement restait à la discrétion du rhumatologue traitant (selon les règles de l'art et son appréciation personnelle), alors que dans l'autre cas le traitement était automatiquement intensifié en présence d'une activité modérée ou forte selon le DAS calculé. Cette simple mesure s'est soldée par des différences hautement significatives des taux de rémission à deux ans selon les critères EULAR de 16% et 65% respectivement. Le message de cette étude est essentiel. Ce n'est pas le schéma thérapeutique proposé, un peu rigide et même désuet, qui permet un tel bénéfice, mais bien l'application systématique d'un calcul d'activité suivi «obligatoirement» d'une adaptation du traitement. En d'autres mots, nous avons tendance comme médecins à sous-évaluer la gravité et l'activité de la maladie de nos patients. L'application et l'utilisation d'un critère d'activité objectif nous forcent à réévaluer notre appréciation, appréciation qui nous permet d'optimiser notre traitement.
Une autre manière d'évaluer l'activité de la maladie est l'utilisation d'un questionnaire d'auto-évaluation rempli par le patient comme le RADAI. Malheureusement, comme praticiens nous avons souvent une certaine réticence à utiliser ces questionnaires d'auto-évaluation. Ils sont souvent regardés comme subjectifs, alors qu'ils sont plus objectifs et reproductibles que beaucoup de valeurs réputées objectives comme des examens de laboratoire. Nous avons également quelques craintes de ne pas savoir les utiliser ou les calculer. Le RADAI est un test simple, facile à appliquer, dont le calcul ne demande que quelques secondes. Il permet d'évaluer de façon standardisée et en cinq questions l'atteinte articulaire, la douleur et la raideur matinale. Il permet aussi au patient d'exprimer son «évaluation» de l'activité de sa maladie.
Cette connaissance est utile à la prise en charge, comme démontré dans une étude suisse.4 Bien que la prise en charge n'était pas codifiée comme dans l'étude TICORA, le fait de connaître ou non l'évaluation de l'activité par le patient a influencé la prise en charge rhumatologique des patients jugeant leur maladie comme sévère. Ces modifications de prise en charge se sont reflétées dans des différences hautement significatives d'évolution des scores radiologiques. Une fois de plus, cela sous-tend que ce sont moins les traitements disponibles qu'une prise de conscience de la sévérité et de l'activité de la maladie qui nous permettent d'optimiser notre traitement et d'obtenir le résultat souhaité.

Évaluation de l'atteinte séquellaire, de la fonction et du handicap

L'atteinte séquellaire et son retentissement fonctionnel sont plus difficiles à évaluer, ou du moins les outils disponibles sont plus difficilement applicables en pratique quotidienne. La classification des PR selon les quatre stades fonctionnels de Steinbrocker n'a aucune sanction pratique et, de même, une évaluation fonctionnelle standardisée, par exemple par un test de boutonnage, ne modifiera pas notre prise en charge. Elles ne peuvent donc de ce fait être recommandées au quotidien.
Néanmoins, d'autres tests permettent d'évaluer la fonction et la qualité de vie, facettes essentielles de la maladie du point de vue du patient. Certains tests sont spécifiques de la PR comme le HAQ (Health Assessment Questionnaire),5d'autres génériques et applicables à tout patient indifféremment de la maladie de base comme le SF36.
Le HAQ évalue huit domaines ou catégories d'activités quotidiennes sur vingt questions. Des activités comme s'habiller, se lever, manger, marcher ou se laver sont évaluées par des questions qui permettent de définir le handicap fonctionnel d'un patient dans la vie quotidienne. Le score obtenu représente la somme de deux composantes, une première composante variable dépendante de l'inflammation et potentiellement corrigible par notre traitement, et une deuxième composante invariable résultante de l'atteinte structurelle. Ce fait explique l'effet «plancher» parfois observé en dépit d'un traitement hautement efficace sur les paramètres d'activité.
L'utilité pratique immédiate d'un tel score est certainement moindre que le calcul d'un DAS28. Il n'est néanmoins pas à sous-estimer. Il a un rôle à nouveau sur la prise de conscience par le médecin de la problématique quotidienne que représentent de simples activités pour son patient. La quantification de limitations importantes dans des activités quotidiennes aussi simples que se laver ou manger est également un excellent outil pour aborder ces patients peu plaintifs qui nient toute problématique. Finalement, ces questionnaires restent pour le médecin une ouverture à une prescription non pharmacologique telle que l'ergothérapie, la physiothérapie ou des moyens médico-sociaux comme des soins à domicile. Une fois de plus, ce type de questionnaire est sous-utilisé par manque d'habitude. Le HAQ est néanmoins facile à calculer avec un peu de pratique et quelques éclaircissements sur les questions les plus fréquentes (tableau 2).

Conclusion

Chaque médecin évalue au quotidien. L'évaluation clinique est une part essentielle de notre prise en charge. Nous définissons un diagnostic, des buts de traitement et des objectifs et l'évaluation des résultats obtenus est indispensable.
Une standardisation et une systématisation de cette évaluation améliorent de façon notoire l'efficacité de notre prise en charge dans une maladie comme la PR. Il est maintenant bien démontré que l'utilisation systématique d'un indice d'activité de la PR comme le DAS28 comme critère d'intensification du traitement permet d'optimiser nos résultats et d'accroître le nombre de patients en rémission. Il faut bien sûr savoir s'adapter à chaque patient individuellement, mais il est aussi important de se rappeler que, dans la mesure du possible, la rémission est le seul objectif vraiment acceptable.
La mise en œuvre de tous ces outils peut être difficile. Pour réussir la transition d'une pratique plus traditionnelle vers une utilisation systématique d'outils d'évaluation, il est nécessaire de définir initialement un seul ou deux outils adaptés à sa pratique quotidienne. Leur utilisation systématique nécessite un temps d'apprentissage. Il est au départ difficile de modifier nos habitudes. Intensifier un traitement en fonction d'un calcul et non pas d'une appréciation clinique n'est pas inné. Toutefois, cet apprentissage est gratifiant et permet certainement d'améliorer l'efficacité de notre prise en charge. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il faudra progressivement améliorer cette évaluation systématique en ajoutant de nouveaux outils. Typiquement pour la PR, il paraît souhaitable de se focaliser et de se familiariser en premier avec l'évaluation systématique de l'activité et son utilisation dans l'optimisation de notre traitement. Ce n'est que dans un deuxième temps, que l'on introduira progressivement les outils d'évaluation de la fonction et du handicap qui nous orienteront vers des modalités thérapeutiques non médicamenteuses.