Introduction

Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC), Complex regional pain syndrome (CRPS) en anglais, reste une entité méconnue et déroutante tant pour les cliniciens que pour les chercheurs. En témoigne la variété des appellations qui ont été proposées pour décrire ce syndrome : algo(neuro)dystrophie sympathique réflexe, causalgie, atrophie (ou maladie) de Sudeck, dystrophie neurovasculaire réflexe... De nombreux traitements ont été proposés, mais il n’existe que pas ou peu d’évidences en faveur de l’une ou l’autre intervention.1 Cet état de fait reflète la variabilité des présentations cliniques du SDRC, l’absence de test diagnostique spécifique et la complexité des mécanismes physiopathogéniques.
Dans cet article, nous reverrons brièvement les critères diagnostiques du SDRC ainsi que certains aspects de sa physiopathogénie. Nous détaillerons ensuite une nouvelle approche thérapeutique susceptible d’améliorer la douleur et les capacités fonctionnelles des patients, mais aussi d’apporter un éclairage nouveau à notre compréhension des SDRC.

Taxonomie et critères diagnostiques

Le terme descriptif et sans connotation physiopathogénique de «Syndrome douloureux régional complexe» a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain. Deux catégories ont été définies : les SDRC de type I (sans lésion nerveuse) et de type II (avec lésion nerveuse). Des critères de diagnostic insistant sur le caractère disproportionné des troubles par rapport à l’événement déclenchant ainsi que sur l’existence de certains symptômes (œdème, troubles vasculaires et troubles sudomoteurs) ont été adoptés.2
Ces critères, qui posaient plusieurs problèmes, ont été adaptés récemment par un nouveau groupe de travail dont les conclusions sont données dans le tableau 1.3 Les auteurs distinguent quatre catégories de symptômes (rapportés par le patient) et de signes (observés lors de l’examen clinique) : les troubles sensoriels, vasomoteurs, sudomoteurs/œdème et moteurs/trophiques. Le nombre minimal requis de symptômes et de signes diffère selon qu’il s’agisse d’établir un diagnostic clinique (privilégiant la sensibilité) ou de recherche (importance d’une spécificité élevée). Ces critères ont été validés en testant leur capacité à discriminer, dans un groupe de 160 patients, ceux souffrant de SDRC et ceux souffrant d’autres douleurs neuropathiques d’étiologie connue. Les critères cliniques ont une sensibilité et une spécificité de 0,85 et 0,69 respectivement (contre 0,70 et 0,94 pour les critères de recherche). Enfin, le groupe de travail distingue trois catégories de SDRC : les types I et II mentionnés plus haut et une troisième catégorie appelée «NOS» (Not otherwise specified) pour les patients ne remplissant pas l’ensemble des critères diagnostiques mais dont le problème ne peut pas être mieux expliqué par un autre diagnostic.
Tableau 1
Critères diagnostiques de syndrome douloureux régional complexe
Cocher si présent 1 Douleur permanente, disproportionnée par rapport à un éventuel événement déclenchant 2 Le patient doit signaler au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes : • Sensorielle : hyperesthésie (augmentation de la perception des stimuli) et/ou allodynie (douleur en réponse à des stimuli normalement non douloureux) • Vasomotrice : asymétrie de température et/ou modifications de la couleur cutanée et/ou asymétrie de couleur cutanée • Sudomotrice/œdème : œdème et/ou modifications de sudation et/ou asymétrie de sudation • Motrice/trophique : réduction d’amplitude articulaire et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou modifications trophiques (poils, ongles, peau) Clinique : minimum 3/4 OU recherche : 4/4 3 Au moment de l’examen, on doit observer au moins un signe dans deux ou plus des quatre catégories suivantes : • Sensorielle : hyperalgésie (à la piqûre) et/ou allodynie (au toucher léger et/ou aux stimuli thermiques et/ou à la pression somatique profonde et/ou à la mobilisation articulaire) • Vasomotrice : asymétrie de température (> 1°C) et/ou modifications ou asymétrie de la couleur cutanée • Sudomotrice/œdème : œdème et/ou modifications de sudation et/ou asymétrie de sudation • Motrice/trophique : réduction d’amplitude articulaire et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou modifications trophiques (poils, ongles, peau) Minimum 2/4 4 Absence d’autres diagnostics pouvant mieux expliquer les signes et symptômes
Ces nouveaux critères présentent plusieurs atouts. Ils s’inspirent d’études épidémiologiques qui ont montré que les symptômes de SDRC se regroupent en quatre catégories. Ils reconnaissent la variabilité temporelle de la symptomatologie en tenant compte des symptômes observés par le patient au cours des jours ou des semaines précédant la consultation. Ils prennent en considération les constats de l’examen clinique. Enfin, ils reconnaissent implicitement que les examens paracliniques sont de peu d’utilité dans le diagnostic de cette affection, ce qui devrait limiter le recours à des examens inutiles, coûteux et non dénués de complications potentielles.

Physiopathogénie du SDRC

La physiopathogénie du SDRC inclut des mécanismes neurologiques, inflammatoires, immunitaires et sympathiques. Elle implique le système nerveux périphérique et surtout le système nerveux central. De nombreux arguments suggèrent que l’intégration des informations motrices et sensorielles (tactiles, proprioceptives et visuelles) est perturbée. Par exemple, chez un patient dont la mobilité articulaire est réduite, il existe une discordance entre l’intention motrice (ouvrir complètement la main) et le mouvement limité tel qu’il sera effectivement réalisé et perçu par les récepteurs proprioceptifs ou par feed-back visuel. Les douleurs spontanées ou les troubles sensoriels qui ont été bien documentés dans les SDRC sont également susceptibles de perturber la perception du membre atteint. Il est possible que la discordance entre les diverses informations sensorielles et motrices soit un élément central du mécanisme des SDRC.4
Plusieurs arguments expérimentaux soutiennent cette hypothèse. Par exemple, le schéma corporel est modifié.5 Le temps nécessaire à reconnaître la latéralité de mains présentées sur des photos est augmenté.6 La représentation de la main atteinte dans la région somatosensorielle S1 est réduite, et l’importance du remaniement cortical est corrélée avec l’intensité de la douleur.7 Des stimulations douloureuses chez des patients souffrant de SDRC activent des zones cérébrales impliquées dans le traitement des informations sensorielles, mais aussi dans les processus attentionnels et moteurs, contrairement aux contrôles.8,9 L’intégration des informations visuelles et proprioceptives dans le cortex pariétal postérieur est perturbée, de même que l’activation des cortex moteurs primaire et secondaire.10

Traitement par imagerie mentale et miroir

Un moyen de restaurer une intégration normale des informations sensorielles et motrices pourrait être de «manipuler» les informations reçues par le cerveau. Plusieurs études ouvertes et concernant de petits nombres de patients montrent que de telles interventions améliorent effectivement les symptômes chez certains patients : mouvements avec miroir chez six amputés,11 entraînement sensoriel intensif dans la douleur fantôme,12 mouvements simulés par ordinateur chez trois patients avec avulsion de plexus brachial,13 rééducation avec miroir chez cinq patients souffrant de SDRC aigu ou subaigu (trois patients souffrant de SDRC chronique n’avaient pas montré d’amélioration),14entraînement sensori-moteur chez six patients atteints de SDRC.15
Dans ce contexte, Moseley 16 a conçu un programme de rééducation intensive (voir annexe p. 1518) appelé «programme d’imagerie motrice» (Motor imagery program – MIP). Ce programme est constitué de trois modules : reconnaissance de latéralité, imagerie mentale et enfin mouvements avec miroir. Chaque module a une durée de deux semaines et les exercices sont réalisés quotidiennement à raison de dix minutes toutes les heures. Le matériel nécessaire est facile à réaliser. Après une période d’apprentissage, le sujet réalise les exercices à domicile. Une étude préliminaire a montré une évolution très favorable de la douleur, de l’œdème et des capacités fonctionnelles persistant six semaines après l’arrêt du traitement.16
Afin d’étudier la reproductibilité de ce travail et les effets à moyen terme du traitement, une étude randomisée, contrôlée, en simple aveugle et avec suivi à six mois a été menée.17 Cinquante et un patients souffrant de SDRC, d’avulsion du plexus brachial ou de douleurs fantômes depuis plus de six mois ont été inclus. Les paramètres mesurés incluaient une échelle fonctionnelle (cinq tâches pertinentes de la vie quotidienne choisies par les patients, cotation pour chaque item allant de 0 pour impossible à 10 pour normal, calcul d’un score moyen exprimé sur un total de dix points), le questionnaire de Mc Gill et une échelle visuelle analogique (EVA). Ces paramètres ont été mesurés avant le traitement, à la fin des six semaines de traitement et six mois plus tard par un investigateur indépendant. Le groupe contrôle bénéficiait d’une physiothérapie «standard» et devait réaliser des exercices à domicile. Tous les patients ont complété un carnet journalier permettant de mesurer l’adhérence au traitement. Le traitement était considéré comme efficace s’il permettait une réduction de l’EVA d’au moins 50% et une amélioration du score fonctionnel d’au moins quatre points.
Avant le traitement, la valeur moyenne sur l’EVA était de 57 mm et le score fonctionnel était 1/10 (± 1). Après traitement, on observe une amélioration discrète des scores fonctionnels et de douleur dans le groupe contrôle et nettement plus marquée dans le groupe traité par imagerie motrice. Au cours des six mois de suivi, les scores continuent à s’améliorer dans le groupe test, alors qu’ils restent stables dans le groupe contrôle. Le NTT (number needed to treat) à six mois de suivi vaut 3. Il n’y a pas de corrélation entre les résultats du traitement et l’ancienneté de la maladie ou le type de pathologie. Le programme à domicile a été raisonnablement bien suivi dans les deux groupes (75% environ). Tous les patients du groupe contrôle et onze patients sur vingt-cinq dans le groupe test ont demandé des traitements adjuvants pendant la période de suivi. Aucun effet secondaire n’est rapporté. Ces résultats confirment ceux de l’étude de 2004 et suggèrent que le traitement par imagerie motrice devrait avoir une place de choix parmi l’arsenal thérapeutique limité dont nous disposons pour faire face au SDRC.
Quelques remarques méritent cependant d’être faites. D’une part, la taille de l’effet est plus faible que dans l’étude de 2004, peut-être en raison de la plus grande hétérogénéité de la population. Les améliorations fonctionnelles sont limitées puisque l’échelle fonctionnelle passe en moyenne de 1 à 5/10. Cependant, un NNT de 3 se compare très avantageusement aux valeurs habituellement mesurées pour les médicaments dans les douleurs neuropathiques.18D’autre part, cette étude n’est pas réalisée en double aveugle et le choix du traitement contrôle (un «traitement standard») est discutable. Enfin, si aucun effet secondaire n’est mentionné, l’auteur a publié un cas de douleur et gonflement après mouvements imaginaires non précédés d’exercices de reconnaissance de latéralité.19 De plus, des exercices de reconnaissance de latéralité directement suivis de mouvements avec miroir aggravent les symptômes.20Par ailleurs, une patiente suivie dans notre équipe pour douleurs fantômes nous a communiqué la remarque suivante : «Je suis assez perturbée par le fait que d’un côté je dois vivre avec une main de quatre doigts et faire le deuil du doigt manquant et de l’autre côté, j’ai la joie de voir une main à cinq doigts dans le miroir, ceci plusieurs fois par jour. Cette contradiction me met dans un état de colère à chaque fois que je fais les exercices et cela me fait encore plus mal.» Il semble donc prématuré de conclure que ce programme est totalement inoffensif.
Malgré ces remarques, et en attendant une confirmation de ces résultats par d’autres études, le traitement par imagerie motrice peut être considéré comme une méthode élégante, peu coûteuse, non invasive et sans effet secondaire grave, susceptible d’apporter des améliorations cliniques significatives chez des patients souffrant de pathologies restant difficiles à traiter. Un autre avantage de cette méthode est qu’elle nécessite peu de supervision du patient, ce qui favorise une stratégie de gestion active des symptômes par ce dernier.
Deux hypothèses, à vérifier, peuvent être avancées pour expliquer ces résultats. La première fait appel au fait que les patients souffrant de SDRC ont tendance à exclure le membre atteint de leur schéma corporel. Le traitement par miroir, en focalisant l’attention sur le membre atteint, pourrait contribuer à inverser ce phénomène. La seconde se base sur la supposition que la thérapie par miroir restaure la congruence entre l’intention motrice et le feed-back visuel.11

Conclusion

Les nouveaux critères diagnostiques et les thérapies visant à améliorer la congruence entre les différents canaux sensoriels sont susceptibles d’aider patients, cliniciens et chercheurs à mieux faire face au syndrome douloureux régional complexe, qui reste une entité difficile à diagnostiquer et à traiter. Les résultats d’études préliminaires sont prometteurs ; une validation à plus grande échelle reste nécessaire.

Implications pratiques

> Le diagnostic du syndrome douloureux régional complexe fait principalement appel à l’interrogatoire et à l’examen clinique, selon les critères repris dans le tableau 1
> Des stratégies de rééducation améliorant la cohérence des informations sensorielles et motrices peuvent être proposées