Introduction

Les métatarsalgies sont définies par des douleurs de l’avant-pied situées dans la région des têtes métatarsiennes. Elles représentent, à elles seules, la première cause de consultations spécialisées. Les étiologies sont nombreuses et un examen clinique spécifique permet généralement de poser un diagnostic et de proposer un traitement approprié. Une approche biomécanique des troubles de l’avant-pied est alors nécessaire afin de traiter ces diverses pathologies selon des critères précis. C’est dans ce but que s’inscrit ce texte, en définissant les différents types de métatarsalgie, leur classification, leur présentation clinique et leur traitement.

Classification

Le cycle de marche est classiquement composé d’une phase oscillante et d’une phase d’appui. Cette dernière peut être séparée en trois phases distinctes :
  • phase 1 : mise en charge (heel strike, «first-rocker»). Elle débute par l’attaque du talon au sol et se poursuit jusqu’au contact des orteils.
  • Phase 2 : milieu d’appui (Midstance, «second-rocker»). Définie par le glissement du tibia sur le dôme talien et par le déplacement du centre de gravité antérieurement. La surcharge d’une ou plusieurs des têtes métatarsiennes est fréquente dans ce contexte. Il s’agit classiquement d’un désalignement sagittal des métatarsiens qui entraîne un hyperappui localisé sous les têtes incriminées. Elles sont définies commemétatarsalgies statiques (second-rocker metatarsalgias) et montrent le développement d’une hyperkératose de localisation proximale et centrée précisément sous la (les) tête(s) métatarsienne(s) incriminée(s) (figure 1 ).
  • Phase 3 : fin d’appui (toe off, «third-rocker»). Débute par l’élévation du talon et induit une propulsion via l’avant-pied. Différente dans la position et l’appui podal, elle présente un autre type de métatarsalgies, ditespropulsives (third-rocker metatarsalagias), où classiquement un métatarsien trop long entraîne un hyperappui chronique de sa tête et des tissus mous avoisinants. Elles sont associées à une hyperkératose plus diffuse, distale, s’étendant jusqu’à la racine des orteils et englobant aussi bien la région métatarsienne que les tissus mous l’entourant (figure 2 ).
Figure 1.
Hyperkératoses statiques
Localisation sous chaque tête symptomatique, centrée, proximale et précise.
Figure 2.
Hyperkératose dynamique
Notez la localisation plus distale, diffuse et s’étendant jusqu’à la base des orteils.
On reconnaît facilement les métatarsalgies selon trois groupes étiologiques distincts : métatarsalgies d’origine biomécanique, maladies de l’avant-pied et maladies systémiques (tableau 1 ).
Tableau 1.
Classification des métatarsalgies

Métatarsalgies d’origine biomécanique

Comptant plus de 90% des patients souffrant de métatarsalgies, ce groupe est de loin le plus fréquemment rencontré. Souvenons-nous que la charge du corps est normalement répartie entre le talon (60%) et l’avant-pied (40%). La distribution de charge se fait équitablement entre les différentes têtes métatarsiennes, sauf au niveau du premier rayon qui en supporte le double.
Cette règle s’applique uniquement si l’architecture et le fonctionnement du pied répondent à des critères bien précis. Dans le cas où ces derniers ne sont pas remplis, des métatarsalgies peuvent apparaître par modification de la répartition de charge. Les têtes doivent être alignées dans un plan coronal et suivre une courbe harmonieuse dans le plan frontal (figure 3 ). Enfin, les orteils doivent être en position physiologique sans griffe ni luxation.
Figure 3.
Avant-pied équilibré
En bleu : en charge normale ou déchargé.
Toute altération de ces critères morphologiques ou toute modification du rapport talon-premier rayon-rayons latéraux entraînera tôt ou tard des douleurs par surcharge.

Pied équin

Il s’agit ici d’une surcharge globale de l’avant-pied par un déplacement de la charge antérieurement (figure 4 ). Le port fréquent de talons hauts est une source classique de douleurs par déplacement antérieur des charges. L’autre étiologie reconnue est le syndrome du gastrocnémien court. Dans cette pathologie très fréquente, la rétraction du tendon d’Achille force un équinisme et donc une marche en surcharge de l’avant-pied. Il est dès lors nécessaire de chercher cette pathologie chez tout patient souffrant de métatarsalgies.
Figure 4.
Pied équin
En rouge : en surcharge.

Syndrome d’insuffisance du premier rayon

La stabilité du premier rayon est primordiale pour une répartition physiologique des charges. Tout défaut à ce niveau entraîne immanquablement une pathologie de surcharge des rayons latéraux. Plusieurs tableaux peuvent alors se présenter.
Le premier est une insuffisance liée à un hallux valgus. Dans ce cas, soit l’articulation cunéo-métatarsienne est primairement incompétente, soit la migration latérale des tendons extenseurs/fléchisseurs ne permet plus une stabilisation dynamique de cette articulation. Dans les deux cas, l’instabilité cunéo-métatarsienne induit une élévation du premier rayon à la marche, un défaut d’appui interne et donc une surcharge latérale.
L’autre possibilité est un premier métatarsien court (figure 5 ). L’insuffisance n’est donc pas due à une instabilité à proprement parler mais à un bras de levier diminué et donc une surcharge latérale.
Figure 5.
Insuffisance du premier rayon
Cliniquement, la surcharge apparaît lors de la phase de propulsion de la marche et entraîne donc une hyperkératose diffuse de l’avant-pied. Les métatarsalgies peuvent être le tableau symptomatique principal et montrent parfois une décompensation aiguë sous forme de fractures de fatigue des métatarsiens.
Naturellement, d’autres causes biomécaniques peuvent entraîner des métatarsalgies, comme les status postfractures, postchirurgical ou toute autre étiologie entraînant un déséquilibre dans le plan frontal ou sagittal des têtes métatarsiennes (figure 6 ). Chaque cas doit être analysé spécifiquement.
Figure 6.
Insuffisance latérale

Maladies de l’avant-pied et systémiques

Ces pathologies sont variées autant dans leurs causes que dans leurs présentations.
La polyarthrite rhumatoïde et la polyneuropathie diabétique ont en commun des métatarsalgies d’origine métatarsophalangienne. Le désalignement des orteils dans tous les plans est dû dans le premier cas à une atteinte articulaire directe, et dans le cas de la polyneuropathie à un déséquilibre entre muscles intrinsèques et extrinsèques. L’action tendineuse faiblement compensée tend à induire une flexion dorsale de la phalange sur la tête métatarsienne. La plaque plantaire, alors seul frein à la migration, finit par s’affaiblir ou céder et précipite d’abord une instabilité puis une luxation métatarsophalangienne. Les puissants fléchisseurs entraînent alors un appui très important de la phalange sur la tête métatarsienne qui montre un hyperappui souvent sévère et caractéristique. La correction de l’orteil en griffe et de sa luxation permet alors de retrouver un appui normal.
Le syndrome de Morton est défini par une atteinte du nerf situé dans le troisième espace intermétatarsien. Ce dernier, anastomose des nerfs plantaires latéral et médial, voyage dans un espace restreint, délimité par les métatarsiens voisins et couvert par le ligament intermétatarsien. La souffrance chronique par compression de ce nerf (syndrome canalaire) entraîne un épaississement puis la formation d’une lésion pseudo-tumorale histologique.
Des études récentes ont montré que plus de 60% de patients asymptomatiques montrent à l’IRM des signes compatibles avec un syndrome de Morton. Cette pathologie est donc trop souvent évoquée à tort lors de douleurs de l’avant-pied.
Dès lors, seul l’examen clinique permet de poser un diagnostic précis. Typiquement, le patient se plaint de douleurs situées dans le troisième espace intermétatarsien, souvent à caractère de brûlure, et régulièrement accompagnées de paresthésies ou parésies des troisième et quatrième orteils. A la palpation, la douleur est élective au niveau de l’espace intermétatarsien et absente au niveau des têtes métatarsiennes. Cette particularité est primordiale, bien que des métatarsalgies classiques d’autre origine puissent s’ajouter au tableau et rendre la distinction plus difficile.
Enfin, cette pathologie peut se développer au niveau du second espace métatarsien (syndrome du deuxième espace). Rare, il s’agit généralement d’un diagnostic d’exclusion et toute autre étiologie doit être écartée.

Anamnèse et examen clinique

Tout examen de douleur de l’avant-pied doit procéder à une exploration précise. La progression des douleurs permet en général de différencier une pathologie aiguë d’une atteinte chronique. Des douleurs apparues, par exemple, après une marche prolongée doivent évoquer une fracture de stress alors que des douleurs depuis de nombreuses années orientent plutôt vers un déséquilibre biomécanique. On insistera principalement sur l’horaire des douleurs, leur mode de présentation, les facteurs déclenchants, les activités quotidiennes et sportives, et l’historique médico-chirurgical.
On insistera aussi sur les habitudes de chaussage. En effet, le port fréquent de chaussures à talons étroites entraîne immanquablement une surcharge globale de l’avant-pied responsable en elle-même de la symptomatologie ou précipitant un déséquilibre biomécanique a priori discret.
Cliniquement, tout examen doit débuter par une analyse de la marche à pieds nus. On notera les différentes phases de la marche et leurs altérations, une boiterie antalgique, une marche sur la pointe des pieds ou un déroulement du pas contrarié.
Tout le membre inférieur doit être exploré à la recherche d’un défaut d’axe ou de longueur, d’un flexum, de cicatrices chirurgicales, ou d’un équin. Pour ce dernier, on installe le patient en position assise, puis on mesure la flexion dorsale de cheville avec le genou fléchi puis le genou tendu (test de Silfverskiöld). Le gastrocnémien est anatomiquement relâché dans le premier cas et tendu dans le second. En cas d’équin avec une différence significative entre genou fléchi et tendu, il s’agit d’un syndrome du gastrocnémien court. Dans le cas contraire, l’équin trouve son origine directement au niveau de la cheville.
L’examen morphologique du pied permet de retrouver un pied plat ou creux, souvent causes de métatarsalgies. On notera aussi la présence d’un hallux valgus et, dans ce contexte, la stabilité de l’articulation cunéo-métatarsienne. La position des orteils doit être contrôlée ainsi que la réductibilité des déformations.
Enfin, l’examen plantaire doit être rigoureux. On reconnaîtra les hyperkératoses statiques et dynamiques, leur localisation précise ou diffuse et leur sévérité. Toute surcharge chronique d’une tête métatarsienne entraîne finalement une bursite, qui est douloureuse à la palpation. A long terme, cette atteinte finit par déchirer la plaque plantaire et déstabiliser l’articulation métatarsophalangienne (signe de Lachmann) avant d’entraîner une luxation.

Exploration radiologique

L’étude des examens radiologiques complète l’analyse de chaque cas. On demandera classiquement des clichés de face et de profil en charge.
La radiographie de face permet de mettre en évidence tout défaut de longueur d’un métatarsien (figures 3 à 6 ), un épaississement de la corticale traduisant une surcharge du rayon, des signes d’arthrose, d’infection ou de fracture, et plus globalement l’architecture morphologique du pied.
Les clichés de profil sont plus difficiles d’interprétation. On notera ici la présence d’un pied plat ou creux ou un désalignement sagittal des têtes métatarsiennes.
Enfin, l’IRM ou le CT-scan peuvent apporter des informations supplémentaires dans certains cas. Ces examens ne sont généralement pas effectués en charge, sinon en charge simulée, et des coupes dans le plan frontal ne peuvent pas établir la véritable position des têtes métatarsiennes lors de la station debout. On cherchera plutôt les signes indirects d’une fracture de stress (œdème) ou une atteinte des tissus mous (Morton, bursite, etc.).

Traitement conservateur

Le traitement conservateur est différent suivant l’origine des métatarsalgies et suffit souvent à traiter la symptomatologie douloureuse. La physiothérapie occupe une place prépondérante dans le syndrome du gastrocnémien court et les déséquilibres musculo-tendineux.
La modification du chaussage et la mise en place de supports plantaires donnent en général d’excellents résultats. On choisira des chaussures larges, avec un talon de faible hauteur. Les supports plantaires, là aussi à adapter selon l’étiologie, comportent un appui rétrocapital qui permet une redistribution des charges sur l’avant-pied.
Finalement, les infiltrations locales peuvent avoir une place dans le traitement du Morton et de certains types de bursite, mais doivent être pratiquées avec précaution.

Traitement chirurgical

La prise en charge chirurgicale s’impose en cas d’échec du traitement conservateur. L’indication dépend de la cause des métatarsalgies. Classiquement, il s’agit des métatarsalgies biomécaniques où le principe est de retrouver une architecture harmonieuse et une répartition physiologique des charges.
Lors d’un déséquilibre de longueur métatarsienne ou d’alignement sagittal, seul un geste osseux permet de retrouver l’appui recherché. La technique la plus répandue est l’ostéotomie dite de Weil, dont le but est un raccourcissement et/ou une élévation des têtes surchargées (figure 7 ). La taille de la coupe et les métatarsiens impliqués sont définis en fonction des clichés radiologiques afin de retrouver une courbe harmonieuse entre les cinq métatarsiens. Dans ce contexte, il arrive souvent qu’un ou plusieurs de ces derniers doivent être pris en charge bien que ne participant pas au déséquilibre premier, ceci afin d’éviter un transfert de charge après l’intervention. Dans le cas, par exemple, de lafigure 6 , les métatarsiens 2 et 5 devront être raccourcis pour dessiner une courbe métatarsienne homogène.
Figure 7.
Ostéotomie de Weil
Plus récemment, la chirurgie percutanée a modifié ces ostéotomies par une absence de fixation, une prise en charge systématique des trois rayons centraux et une approche théorique différente. En effet, les têtes laissées libres se déplacent dorsalement lors de la marche du patient, jusqu’à trouver un équilibre correspondant à une répartition homogène des charges. La stabilisation dans cette position est biodynamique et le raccourcissement des métatarsiens occupe donc une place secondaire.
Naturellement, les autres troubles statiques ou dynamiques peuvent répondre à une chirurgie de correction. Les exemples les plus classiques sont la prise en charge de l’hallux valgus, des griffes d’orteils, l’allongement gastrocnémien dans un équinisme dû au triceps sural ou l’excision d’un névrome de Morton ou une décompression endoscopique de son canal.

Conclusion

Les métatarsalgies ne sont pas une entité spécifique mais l’expression symptomatique de pathologies d’origines variées. Leur traitement, premièrement conservateur, doit se concentrer sur la cause du déséquilibre. En cas d’échec, l’approche chirurgicale, récemment élargie par l’apport de la chirurgie mini-invasive, offre un éventail de possibilités reposant sur un diagnostic précis, lui-même tributaire d’un examen clinique minutieux.
Au-delà d’une simple classification ou recherche étiologique, la prise en charge de ces pathologies s’inscrit dans une vision biomécanique de la statique du pied et réunit, à elle seule, les grands groupes de pathologies de cette région anatomique.

Implications pratiques

> L’examen clinique et la radiologie conventionnelle suffisent généralement pour poser un diagnostic
> Le traitement conservateur impose généralement une modification du chaussage et le port de semelles sur mesure
> L’option chirurgicale n’est à proposer qu’en cas d’échec du traitement conservateur
> Le névrome de Morton est un diagnostic souvent retenu à tort